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S’alléger. Les membranes célestes enfantent une averse, ralenti d’un jus d’anges. Humains, sentez vos chairs battre tambour et mettez vos yeux au diapason humide ! La guimbarde de l’univers envoûte vos squelettes brindilles et vos vibrations hantent l’utérus de la mort. Je suis en apesanteur, volière ébruitée par magie et abracadabras. L’hypnose des horloges soulève mes frissons et dans ce sommeil de narcose, je noue une à une les cordes pluvieuses des violons. Cinq sens, ce n’est pas assez d’inventions chez les dieux pour te prendre. Je n’ai levé aucun corps. Le ventre-brame n’est pas la porte vierge d’une nuit d’arbres et ce crin de voix ne chute pas dans mes labyrinthes. Rien entre mes doigts pour te prendre. Échappatoire. Dessine-moi un corbeau, j’en ai assez des moutons même gris, même brisés de ciment. Découpe un battement volatil, cette humeur, même goudronnée, qu’on dirait transpirée des sépulcres. Mets-moi ce vol à la page, tout charcuté de doigts, de bagues et d’ergots. Et puis son bruit de fenêtre ouverte, cette lame obstinée à cisailler la nuit. Dessine-moi tout ça qui se tient sur ma branche, même corneille même pigeon, ces volailles de gencives à nerfs. Je n’en peux plus de ne jamais rêver, de faire mes équilibres sur le parc des ouailles et de tisser chaque nuit des laines interdites. Dessine-moi un œil de côté, un os à chanter de la plume et puis de l’air, de l’air à découcher. Je vais promener désormais ma poésie comme une maladie orpheline, ganglions de flammes et nævus. Je romps la veine des enclaves éditoriales. Je sais, tu ne me reconnaîtras jamais. Pas de test ADN pour retrouver mes ovules. Textes-blocs dans les isoloirs, je voterai à bulletin secret les passions auto-immunes. Je suis trop fière pour brader mes cheveux et les anges qui filent mon voyage. Mieux vaut courser son propre silence !

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Habillage. Je m’habille de la peau des choses. Rentrer dedans les limbes, le paradis disséminé des vies perdues. Fond de chemise, au frac. Je revêts le simple appareil, mon costume de babioles. Entre mon âme et toi, un plastique sur le toc. Pour ne plus y penser et poursuivre le temps. Mon œil mesure l’espace. Formes et difformes, cornes sur blessures, cals de patience, les heures étourdies sous le monticule. Je jette dans cette piscine du pain, des couleurs, des mots pour faire ventre aux poissons et aux signes. Parfois comme un œil ouvert depuis les fosses marines, une onde écarquille mes visions, muettes déclarations d’amour de la bouche d’un gouffre. État d’être. Veuillez vérifier l’état de vos tristesses et vos attachements, éteindre les transmissions dans les cendres vocales, assembler vos bras sur les ballons de sauvetage, décrypter les momies de l’enfance, carotter vos petits Proust en duvet de farine. Le temps fout le camp maintenant. Maintenant vos zones de turgescence et vos secousses oniriques. Planquez vos seins au casier, votre vie de valise et ces secrets d’aisselle où jacassent des corneilles. Le temps est en piste. Il roule à fond ses oiseaux, l’âge à la traîne en savates d’éternité. Un peu d’ozone pur contre la peau, un glacier fraîchement tondu dans la poche, je ferme les yeux. Dans le jardin mes hallucinoses se déhanchent et ce rêve inaudible d’un oiseau qui dort. L’escarpe des alarmes payé cash .il sonnera bientôt cinq heures. Dire. Que te dire ? Le bookmaker du temps a déjà pris ma note. Je navigue à vue, une paupière sous ta bouche.

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Mise en ordre. Saisir sa veine, dépecer ensuite le pouls et le sursaut, tirer à nerfs vifs, guimbarde et sentiments, pour toucher le temps d’une secousse, cette électrique cloque où gésir les amours défectives. D’une alêne de guêpe, infecter la platitude et le morne ennui, muqueuses rouges couveuses de fourmis et laisser grignoter. Poser par-dessus une cloche et un murmure d’église. Les angélus passent avec les chloroformes. Porter alors son champ de bulles comme une pietà dans les corridors pénitentiaires tout le long de la nuit. Ce ne sera pas la première détrousse d’âme qu’il faut vivre. La peau déjà se durcit, cal du creux d’amour que je vois se tendre sur les failles. J’écarte le jardin, je plante mes épaules dans un terrain bien sec. Ce n’est pas la première évasion de chaleur vers un salon d’étoiles. L’âtre tisse froid ses tentures. Ce n’est pas le premier univers chiffonné dans la corbeille des savants. Tout cela n’est rien, rien qui ferait une superbe exception dans la bouche d’un poète.

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Dévoration. Encore un baiser de pivoine, de la pressure de griottes au coin des dents. Crime parfait sous cachet de carquois. Me ramener à terre par la piste. Crépuscule, rideau tombé sur les affres de l’air. Je me fais des idées comme d’autres du coke sous la cendre, une ligne de vin pour ourler le désir. Le tison est un objet contondant. Le sang des vieilles femmes est noir comme des épîtres cardinales, de l’amarante en croûte d’épidermes. Je me souviens maintenant avoir saigné et d’avoir abrité souvent ces décadences pourpres. J’étais vive à la mort et je suis morte à vie.

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Le temps du vol. Il y a toujours un oiseau pour chanter cette gravité suraiguë à fleur d’objet, l’innocence métronome qui crisse sur les vitres. Nos regards ne pépient plus. Ils raidissent doucement comme du mortier de souffle. Une agate après l’autre.

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Se faire à l’idée. Mille échelons vers la lune et le monde dans la cage d’escaliers. La tête grimpe. On se monte le cou jusqu’à des guillotines révolutionnaires. Orange de la nuit mûrie sur un lé d’éventail. Son jus coule dans la gorge. On boit des éclipses. Escamotage d’un coup de vent. Je dépose un chat là-haut jusqu’aux mirages, nénuphar à moustaches toutes griffes dehors : la lune miaule, la lune coasse, la lune bascule. De petits cerceaux roulent dans ma nuit, monocles bleus des poètes. Ils ont des planètes juteuses sur leurs routes d’enfance et leur baguette cravache les ellipses. À moi, le manège enchanté, une ivresse sur la ronde. Les songes tombent et n’amassent que mousse. Il fait bleu temps et j’ai l’âme aux vers, avec des ruisseaux et des rouages, une horloge à la lune puisque tous mes cheveux collent désormais à quelques nuages.

Texte : Anna Jouy