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Heure du bain. Peut-être faut-il entre chien et loup mettre sa chair à fondre dans ce bleu où tombent finalement toutes choses. La fente crépuscule saignerait de l’encre et moi pareille, effervescence filandreuse emmêlée d’un taquet de guimauve. Peut-être faut-il mettre au trempage le blanc d’une coupe d’été, parmi des jonques de cobalt. Espérer voir se détacher fibre et fibre encore, les ficelles du regard, saucer l’azur et l’avaler tout cru. Esprit cannibale. Sieste. Le monde, je le croise au-dessus de ma tête. Les avions fusillent mon espace au bazooka. Grand filet de voyages explosés, mes cheveux en pétards. Je lis l’ardoise des passeports éphémères. Quand ils écrivent un A je crois qu’ils pensent à moi et je ferme les yeux en murmurant bonjour en toutes les langues que je sais. Moi couchée dans l’herbe, la ronde des trafics en l’air tourne tourne et m’enivre. Je marche encore sur les oiseaux mais il fait chaud, si chaud.je crains que leurs aiguilles ne percent bientôt mes baudruches et qu’il me faille redescendre en piqué, moteur coupé, cylindres serrés.

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Avant la nuit mammifère. Il manque à ton idée d’évacuer des œufs et de perdre des plumes. Tu niches à poil, ta tête enroulée dans ton sexe, à naître et mourir sans cesse, mouillée, saignante. Sans la moindre coquille ni l’infime chrysalide. Tu vagis, tu épècles, tu désarticules ta nostalgie de ventre, anse faite à des promesses. Vivre semblait tenir debout, deux pattes aux cals durs. Maintenant il te faut changer de territoire, passé en mode volatil, poser ta masse chaude pour un troc de couleuvre. Sang-froid, maîtrise et l’iris fendu. Rêve éveillé. Je te forme sous la langue, te rumine à joues juteuses. Je te cause les crocs aigus. Tu as le cœur assis et mon âme sur les genoux. Je mastique tes gravures, la table en est couverte. Au couteau, au poinçon, à la dent de fourchette. Dans le rouge acrylique de vieux augures. Je mâchouille le mystère que mes yeux ne descellent. Tu as dû laisser ton numéro pour me revoir. Mais comment le recomposer dans ces chiffres défaits. Mettre du sublime dans ces ossatures, mots, tous dépiautés là, pour allumer mes paniques de fille. Ne rien savoir me rend rage et chaîne. Je ferai de tout cela le parc d’acajous où s’apprivoisent les lacunes, l’écumoire épuisée de torpilles secrètes. Oui, la mer entre nous est un vaste boudoir, dressant sa tente entre épieux et pilotis. Une chambre anodine en plein corps où rêve le substrat des femmes. En suis-je encore ? Je ferai de tout cela un soubresaut, une volière de rames avec des ongles courts, l’interminable rendez-vous sur le carnet de cavales. Chaque fuite entre mes doigts est un sablier qui se meurt.

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Lever. Pas de pleines mesures sur le matin. Le tempo est rasé, fraîche coupe des ciguës, mise à niveau de mes poisons ; l’alchimie me nivelle, sangfoutre. L’horizon a la frange nette, juste au front du regard. À plumes ou à poil, rien ne passe. Boule à zéro, veuillez laisser vos épis et votre ébouriffure au vestiaire. Je glisse ma graine au fond d’un bitume domestique, seringue sans bactéries ou pouls de naissance. Son centre ADN gesticulera comme une algue à l’embouchure des vocabulaires. Journée tondue par un courant d’air et la ligature d’un peu de sel sur le cou, en écharpe de froid, si dévêtue dehors. L’intérieur est un printemps serré qui ne déplie plus le chemin. Le voilà le bord du monde, comme un saut à jeter par- dessus la jambe, un sursis de sol avant de crier air ! air ! Lancer enfin son âme vers un peu de lumière.

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Travail encore, quand mettrai-je en chantier le souffle, les nœuds de traverse, ce coupe-gorge des chutes de gosiers ? Les coudriers du ciel appellent une vaste pluie. Mais les saules. Mais les saules…Quand ferai-je ma reprise de bois, barres parallèles doigts croisés ? La trame se tire, chiffon de vannerie des navettes de sève. Mais les saules. Quand panserai-je le lierre des césures, les escarres d’écorce, ces accrocs d’initiales dans le cortex amoureux ? Mais les saules. Mais les saules.

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Méditation. Récup’ de l’âme. Berceuse. Moïse parfait des essaims, papillons à l’ordo d’un soleil bien tapé, elle respire. Le sanatorium aligne les écrins du repos. Elle respire. Il fait enfin chaud sur la peau. Dessous le froid fond lentement entre deux crachats. Elle respire, enfonce l’air frais, fortifiant en canule. Je sens cette ondulation libre d’une aube d’alvéoles. Inspiration expiration. Tordre l’esbroufe, petit cul maillé de crâneries. Quand ça tangue du bas, on garde la tête haute. Équilibrer la danse et les dépliés du vent. Faut tenir l’honneur à la mentonnière, minimum requis. Et je défile à la bourrasque comme un pilotis sous la mer. Les torsades tristes montent jusqu’aux amygdales. Atlante naine à porter fier et beau, les illusions aux épaulettes, je me fais une carrure d’ombre.

Texte : Recueil « Hypnoses d’horloge – Anna Jouy