Extraits d’Imprécations nocturnes, Conspiration Editions, 2022

crédit : Watch Cap, 1974 d’Andrew Wyet

Il agitait ses longs bras
géant commandant aux ombres
avec cette insouciance des Dieux
tout en lui repoussait les limites du bon sens
son sourire planait trop haut
la misère à bonne distance
la voix du monde pour coryphée

lui seul détenait le secret du bonheur
je le suivais sans réfléchir
me reniant si souvent
jusqu’à perdre sa trace
au carrefour de villes imaginaires
son secret irrévélé
et ce silence pesant

******

Tu te retournes
guettant la clarté d’une enseigne
et toutes ces ombres aléatoires
qui pour toi devraient donner du sens
alors qu’une aube précoce se prépare
ébranle l’équilibre de tes persiennes
et te voilà en marche
flirtant avec le jour
la ville s’offre à toi
des lignes, des croisements, des fuites
ton désir écartelé
tes jambes trop fébriles
d’autres te dépassent
ils jouiront d’elle à ta place

******

Le ciel est à la bourrasque
et l’herbe chante
quand il rentre du champ
lourd de sa carcasse
l’instant paraît à portée de main
mais qu’en sait-il ?
lui qui n’a jamais pris le temps
de flâner hors des lignes
Imaginer une vie autre
dans la douceur de l’ombre
il se contente d’ouvrir un livre
qu’il recommence sans cesse
un récit passionné
si loin de sa routine
ses yeux parcourent des phrases
aux images illicites
le vent tourne les pages
où la sueur a signé sa fatigue

******

Enfant de la nuit il veille
traverse la ville ivre de songes
un éclaireur pour ses frères
un maudit pour sa famille
l’obscurité est son supplice
et pourtant il s’y glisse un peu plus
se recueille devant des monuments mal éclairés
hante ces places orphelines
et dans l’attente que l’aube redonne formes aux présences
débute un monologue désespéré
juste avant que la lumière ne l’aveugle

******

Tous les mots du monde t’ont taillé le costard
du mystique, au voyant, au mauvais génie
ton cri de liberté
souffle sur le désert
aucun anachorète n’y puisera l’ambiguïté
d’un monde que ton regard dépasse
une fuite en long silence
qui capte le réel
un verbe sacré qui honnit la sacralité
à la mesure d’un Dieu que tu coudoies à en périr

******

« S’il arrive un malheur, nous le braverons ensemble »
et si je vis à tes crochets
une même passion nous unit
sur mon chemin solitaire
dans une campagne noire de corbeaux
je te chercherai toujours, mon frère
les reflets cuivrés de tes mèches
ton sourire et ta main guidant ma palette
et si je dois y mettre un terme
laissons se consumer les champs de blé d’Auvers
oublions Gauguin, Paris et ses galères
gisons côte à côte
ensemble et sereins

******

Sur l’auteur

Grégory RATEAU s’est rapidement imposé sur la nouvelle scène poétique contemporaine. Il a obtenu le Prix Amélie Murat 2023 pour son recueil Imprécations nocturnes aussi sélectionné au Prix Ganzo du Festival Etonnants Voyageurs. Des critiques et des entretiens fleurissent un peu partout dont Europe, Arpa, Zone Critique, Esprit, En Attendant Nadeau, Poesibao, Les Lettres Françaises, La Cause Littéraire…

Parrain pour différents concours francophones, ce poète « révolté » et « engagé » par l’écriture et seulement par elle, questionne sans cesse le réel comme ses grands modèles : Fondane, Cendrars, Moreau, Demangeot, Rodanski, Rimbaud, Ginsberg, Larbaud, Prevel…

Ses poèmes rencontrent un véritable engouement, en seulement deux ans, ils font l’objet de lectures publiques dans les Instituts, les Lycées, les Universités, les Maisons de la poésie, les Festivals, publiés dans plusieurs anthologies du Le Printemps des poètes, dans un livre d’art, une cartographie de la poésie et dans plus d’une quarantaine de revues papiers et numériques en France/Corse/Haïti, au Sénégal, en Suisse, au Québec, au Portugal, en Roumanie, en Belgique, Espagne, Pérou, Liban, Italie (L’Orient le jour, FPM, Arpa, Gustave, Le Cafard Hérétique, Place de la Sorbonne, Verso, Points & Contrepoints…). Il signe également la préface du poète communiste Gérard Lemaire, Pourquoi écrire ?

Jean-Baptiste Para, poète et directeur de la célèbre revue Europe écrira : « Un kaléidoscope. De multiples éclats du monde réel, en constant mouvement, leur retentissement sensible dans une conscience et un corps, la saisie des impromptus des jours dont le poème garde trace pour longtemps, tout cela intervient dans la relation que le lecteur peut entretenir avec ces poèmes qui (r)avivent son propre regard sur le monde. »

Toujours en errance, il vit aujourd’hui à Bucarest où il est le directeur d’un média mais aussi scénariste. Il est également l’auteur d’un récit de voyage sur la Roumanie (très médiatisé dans sa version roumaine et intégré au Guide Michelin) et d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020).