Rayonvert

Le silence est éblouissant. Nous sommes sur le toit du monde. Les sommets s’offrent à nous, innombrables et resplendissants sous la lumière dorée du crépuscule. Je pense à Julien Gracq, le géographe, à la compréhension soudaine des forces du paysage qu’il évoque à l’issue d’une escalade. Intense jubilation. Sentiment incomparable de plénitude. Je me sens immortelle. Très haut dans le ciel planent des milans noirs. Ils décrivent lentement des courbes qui s’inscrivent dans le dess(e)in divin (?). Je tourne sur moi-même, à cent-quatre-vingts degrés, plusieurs fois, très lentement. Je regarde intensément chaque sommet, chaque point du panorama, que je ne voudrais jamais oublier. Je m’efforce de graver dans ma mémoire tout ce que je vois, tout ce que je ressens. Soudain j’aperçois, incrédule, un rayonnement vert… Se peut-il? Le rayon vert vacille, laisse place à un rayonnement rouge, revient, se stabilise. Mes yeux apprivoisent la luminosité exceptionnelle du couchant à cette altitude. Oui, je l’avais poursuivi comme tous les lecteurs de Jules Verne. Je l’avais cherché en vain, de crépuscule en crépuscule, au bord de l’océan. Il est là, il se manifeste, apparition, épiphanie, cadeau du ciel… Je ne rêve pas. Je ferme quelques instants les yeux comme pour me pincer. Quand je les ouvre de nouveau, le spectre vert de la lumière se superpose furtivement à un rayonnement rouge instable qui clignote en faisant trembler l’horizon des montagnes. Le vert et le rouge s’appellent ou s’affrontent, cèdent, réapparaissent, tandis que je me concentre et que je fixe l’horizon qu’ils sur-lignent, en espérant la victoire du rayonnement habituellement invisible… Voeu exaucé pendant quelques secondes (ou quelques minutes ?), aussi longues que l’éternité…

 

Texte : Françoise Gérard