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~ refuge pour les dépaysés

Les Cosaques des Frontières

Archives de Tag: Il y a quelqu’un

Il y a quelqu’un ? ⎮ 5

30 lundi Avr 2018

Posted by lecuratordecontes in Anh Mat

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Anh Mat, Il y a quelqu'un

5 ponce pilate.

ponce pilate

Je longe d’un pas pressé les murs du boulevard qui, aussi long qu’il est, doit bien s’arrêter quelque part. Il doit bien y avoir, tout au bout, les berges d’un fleuve prêtes à accueillir un assassin. Je ne risque pas d’y croiser grand monde si ce n’est quelques clochards somnolant dans une ivresse telle que rien ne les surprendrait. Mais je crains tout de même qu’il suffise d’un regard sur l’état abominable de la charogne du chien, qui plus est dans mes bras, pour les faire redescendre à la seconde de leur haut taux d’alcoolémie. Il est donc préférable que je m’en sépare. Je rejette aussitôt l’idée de le jeter dans une benne à ordure : un éboueur pourrait tomber dessus et le signaler aux agents de police enquêtant probablement déjà sur le meurtre canin. Ils auraient là une preuve irréfutable contre moi et de là commencerait une cavale qui m’épuise déjà rien que d’y penser. Je décide alors de l’enterrer. Pas de pelle à disposition. Il ne me reste plus que les mains pour creuser. Alors je creuse, à bout de souffle, haletant, comme si mon sort en dépendait. Je creuse avec tant d’énergie que certains doigts en perdent leurs ongles, et ceux restés accrochés, difformes et gorgés de boue, n’ont plus rien d’humain si ce n’est le mal de chien qu’ils me procurent. Le trou est assez profond je crois.

Je m’assois au bord du fleuve pour m’y laver les mains. En plongeant mes premières phalanges, je croise le reflet d’un visage dans l’eau. Mes doigts ont quelque peu jeté le trouble et il me faut attendre que l’eau retrouve son calme pour enfin découvrir le visage sous ses bonnes proportions. Je me penche pour mieux le voir. Je découvre un visage sans âge. Les joues rondes pourraient être celles d’un enfant, mais elles contrastent avec le front qui lui, semble marqué de profondes rides, même s’il m’est difficile de les distinguer avec certitude. Les oreilles, elles, sont plutôt pointues comme à l’affût du moindre bruit qui court. Les sourcils sont bien fournis pour sûr et même un peu en bataille, ce qui ajoute au regard un air étonné, surpris, ahuri, joyeux, mais d’une joie un peu stupide, un peu niaise, un peu triste aussi. Je tente de deviner la couleur des yeux, mais le reflet dans l’eau est trompeur à ce sujet. Je remarque surtout le volume considérable des cernes. Pas étonnant vu la fatigue et la fièvre que je traîne. J’essaie tout de même d’esquisser un sourire, mais le sourire ne semble pas fait pour ce visage, il sonne faux si je peux dire ainsi. Je remarque des gerçures sur les lèvres. Peut-être à cause du froid et du vent. Je passe la langue sur les crevasses sèches. Ce doit être en fait l’usure de ne pas beaucoup m’en servir, de ne pas beaucoup parler. C’est vrai que je n’ai pas dit un mot. Depuis combien de temps déjà ? En ai-je une fois dit un ? A-t-il au moins été entendu ? Que disait-il ? Rien ? Était-il destiné à ne rien dire ?

C’est désormais certain, ce visage m’est étranger. Je tente de m’y reconnaître en fronçant les sourcils, en souriant à nouveau, en prenant un air triste, mais aucune grimace ne ravive un semblant de mémoire. Au contraire, plus j’essaie de faire vivre ce visage, plus je m’y perds. Alors j’essaie de retrouver dans l’eau l’air que j’avais quand la fenêtre était mal fermée, l’air que j’avais apeuré par ma propre jambe, l’air que j’avais avant de basculer, l’air que j’avais en regardant le jour sombrer, l’air que j’avais en déféquant au pied du frêne, l’air que j’avais en cherchant mon nom sur les boîtes aux lettres, l’air que j’avais en observant les bouches s’ouvrir et se refermer, l’air que j’avais quand le clébard me regardait avant que je ne le tue, l’air que j’avais quand je l’ai tué… et c’est en ne retrouvant rien de cela que le visage disparut dans l’eau avec l’air d’un déjà vu.

 

Texte : Anh Mat
Dessin : Anna Jouy

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Il y a quelqu’un ? ⎮ 4

28 samedi Avr 2018

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Anh Mat, Il y a quelqu'un

4 chien et loup

chien et loup

J’entends des pas se diriger vers moi en trottinant. Je préfère ne pas relever la tête de peur des représailles. Mais qui peut bien s’approcher ? Les pas viennent de derrière. Un pickpocket peut-être ? Si c’est le cas, je ne risque pas grand-chose, je n’ai pas un sou ! Et puis quel pickpocket assez idiot vendrait braquer un type sapé d’un pyjama et d’une robe de chambre ? Il suffit de me voir, même de dos, pour savoir qu’il n’y a là rien à gagner. S’agirait-il plutôt d’une personne qui m’aurait reconnu ? La coïncidence que le premier venu me reconnaisse est trop improbable pour y croire et puis j’ai encore le visage dans les mains; même physionomiste, ça lui aurait été difficile. Qui d’autre alors ? Un des fiévreux dont il était question dans le journal, un de ceux que l’épidémie n’a pas épargnés ? Qui que ce soit, je ne peux plus fuir, les pas sont déjà trop proches. Ils ralentissent à présent et se mettent même à tourner autour de moi. L’individu en question a dû s’accroupir à mon niveau et même un peu courir pour venir jusqu’ici, car je peux entendre distinctement le souffle qu’il reprend à grande bouchée d’air. Il aurait pu me secouer l’épaule et m’interpeller, mais il doit être aussi craintif que moi. Peut-être attend-il que je relève la tête pour m’adresser la parole ? De toute façon, je vais devoir la relever si je ne veux éveiller en lui aucun soupçon. Il pourrait croire que je suis en train de faire un malaise et appeler les urgences ou je ne sais qui, et dans l’état où je me trouve, mieux vaut ne compter que sur moi-même, même si je ne suis personne. Reste prudent me dis-je.

En relevant la tête, je découvre un chien qui me zieute l’air tranquille. De quelle race est-il ? Ça doit être un berger, un berger croisé à je ne sais quoi sur qui l’errance a déteint au fil des années. Il doit pourtant être assez jeune, ça se voit à la vivacité de son regard. Il ne semble en rien surpris de me voir assis là par terre, sur un des trottoirs du quartier. C’est à croire qu’il m’a déjà vu par ici, qu’il me connaît. Il se met à me renifler doucement de sa truffe humide, à me lécher la main, puis tout à fait à son aise, se blottit même contre mes jambes comme pour me réchauffer, me rassurer après un mauvais rêve. Ses attentions me paraissent de prime abord innocentes. Sa bienveillance devrait m’apaiser, mais j’en suis au contraire gêné, décontenancé. Malgré moi mes membres se crispent au contact de sa tendresse. À ses côtés, je suis désormais tout à fait mal à l’aise. Plus que ça même. Contre ce chien monte en moi une véritable défiance. Je ne peux croire à la gratuité de son affection soudaine, alors je me demande, quel est son prix ? Que veut-il de moi pour être aussi gentil ? Ses égards sont tels qu’ils m’effraient tant la peur de ne pouvoir les payer me reste en travers de la gorge. Devant lui comme mis en demeure de lui répondre, et ne sachant toujours pas ce qu’il demande, je cherche en moi quelque chose à lui rendre. Je ne trouve au fond de mon ventre qu’une immense colère, colère profonde, ancienne, macérant depuis toujours dans un coin à l’intérieur. J’ignore son origine. Elle est à cet instant la chose la plus précieuse que je possède. Alors qu’il me regarde en penchant la tête comme attendant un geste de ma part, ma fièvre à son paroxysme réveille d’un coup de sang le volcan nerveux qui sommeillait en moi jusque-là. Je lui crache dessus la lave de ma colère, le roue de coups du thorax à la queue. L’attaque est d’une violence extrême tant le ressentiment qui l’habite est brûlant. Plus rien ne peut m’arrêter. Quelques minutes après, il ne reste de la bête que des couinements stridents hurlant la douleur, douleur qui ne saura se taire qu’une fois morte. Qu’importe ! Je continue. Et à mesure de cogner ce chien, je suis maintenant persuadé de retrouver un peu de ma nature.

Le calme me reprend devant l’animal agonisant à mes pieds. Il tremble par à-coups et son halètement tout d’abord très vif peu à peu décélère. Les couinements, maintenant timides, commencent eux aussi à renoncer. Que ça peut être long quelques secondes ! Rien de son corps n’est pas étalé sur le sol, chaque membre est désarticulé, tous les poils de son flanc ne peuvent éponger du sol cette immense flaque d’un ténébreux bordeaux. Je suis surtout saisi par ses yeux encore brillants qui résignés se perdent dans le vide de leur regard. Ça y est, c’est fait. Il ne voit désormais plus rien. La lune, elle, ne sourit plus du tout.

Texte : Anh Mat
Dessin : Anna Jouy

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Il y a quelqu’un ? ⎮ 3

27 vendredi Avr 2018

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Anh Mat, Il y a quelqu'un


serrure

Il faut à tout prix que je rentre. C’est de ma santé dont il est question. De quelle porte suis-je sorti ? De quelle couleur était-elle ? Possédait-elle un signe qui me permettrait de la distinguer des autres ? Un signe de quelle forme ? Le cercle d’un oeil de boeuf ? Une croix ? Un tag ? Ça ne me revient pas. Je devrais me concentrer sur les noms… Oui, lire les noms sur les boîtes aux lettres. Le mien me reviendra peut-être…

Be… na… li… el…
Benaliel… pourquoi pas ? J’aurais quand même eu une sacrée veine de tomber sur mon nom à la première étiquette. Je ne me sens pas être une personne particulièrement chanceuse. La serrure me confirme cette intuition : ma clé n’y rentre pas. Essayons donc celui-là : N… gu… yen…
Monsieur Nguyen… serais-je vietnamien ? Ça se verrait si j’l’étais ! Encore que j’ignore ce que le nom de Nguyen donne sur ma gueule ne sachant même pas à quoi je ressemble et qu’il n’y a rien par ici qui pourrait faire office de miroir. Et puis il suffirait que je sois métis pour ne même pas pouvoir déceler avec certitude les origines de mon faciès. De toute façon la serrure donne son verdict : ce n’est pas ici !

Et c’est après une centaine de noms, une centaine de serrures pénétrées en vain que je me rends compte que le parc a disparu. Il n’est plus derrière moi. Combien d’heures ai-je cherché ma porte ? Où mes pas m’ont-ils bien mené ? Emporté par la marée de mon angoisse, ai-je dérivé si loin ? J’ai donc échoué là, sur un boulevard. Les quelques bus et voitures qui passent tracent de leurs phares des traînées rouges et jaunes disparaissant plus loin, dans une autre rue, telles des étoiles filantes dans le noir. Drôle de ciel que celui du bitume. J’entends quelques voix qui veillent encore à cette heure-ci, à croire qu’elles se sont toutes données rendez-vous là, devant moi, juste pour m’emmerder. Le vent emporte les voix échappées de leurs paroles pour les faire tourbillonner, bourdonner dans l’oreille de ma solitude fiévreuse. Le silence qui jusque-là régnait sur moi est comme violé par le bruit des autres. De mon côté du trottoir, dans la pénombre, à la fois curieux et apeuré, je ne peux m’empêcher de les observer, ces autres, qui malgré tous mes efforts pour incarner au mieux l’indifférence, ne me laissent pas si indifférents. Je regarde attentivement leurs bouches bouger, de loin je suis captivé par leurs lèvres en action qui dans le flot d’une discussion que je n’entends pas d’ici, s’ouvrent et se referment à n’en plus finir, d’un mouvement aussi grossier que gracieux. Je tente de lire ce qu’ils se racontent, mais je ne discerne aucun mot. Parlent-ils une langue dont j’ai tout oublié ou suis-je tout simplement d’un autre pays, d’un autre camp, d’une autre race ? Voilà que je vacille à nouveau, les yeux me piquent, mes jambes tremblent, ma peau transpire, frissonne. Somme toute la fatigue et le doute commencent à prendre le dessus à force. C’est épuisant de brasser du vent. C’est terrifiant aussi. Il me faut prendre le temps de m’asseoir un peu et de fermer les yeux si je veux éviter de m’évanouir en pleine rue. Assis sur le trottoir, ma fièvre me relance et c’est les deux paupières posées sur le pouce et l’index de ma main droite que je tente de retrouver mes esprits. À ce instant-là, le sourire de la lune est si fin qu’il en devient presque imperceptible.

Texte : Anh Mat
Dessin : Anna Jouy

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Il y a quelqu’un ? ⎮ 2

26 jeudi Avr 2018

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Anh Mat, Il y a quelqu'un

lire le monde

Lire le monde

Je me relève fébrile, m’en vais jeter un œil à la fenêtre : pas grand-chose à voir, si ce n’est le square d’en bas, arbres immobiles et silhouettes qui marchent, jouent au badminton sur le trottoir. Leurs ombres s’évaporent du bitume, avec les dernières lueurs du jour. Je regarde les nuages, les merveilleux nuages empourprés de lave, recouvrant le soleil comme pour le border avant qu’il cauchemarde. Je ne suis pas le seul témoin de ce spectacle. Un chien du coin qui jusque-là flairait son dîner aux abords des poubelles s’est lui aussi arrêté. Il est assis sous un vieux frênes et fixe le soleil avec appréhension. À mon tour, je fixe l’astre de feu afin de deviner ce qui semble obséder à ce point la bête, je le regarde avec attention, longuement, sans réponse, jusqu’à ce qu’il s’éteigne, tout doucement, comme une braise dans le noir. La lune est déjà là, le croissant d’un sourire aux lèvres, éclatante d’ironie. Serait-elle en train de se moquer de moi ?

Il fait désormais si noir qu’il ne reste du square que le bruit du vent dans les feuillages. Quelques pets viennent interrompre ce moment de calme. Ils détonnent d’abord discrètement pour petit à petit se répéter avec un certain entrain. À mon grand désarroi, je m’aperçois qu’il n’y a pas de papier toilette, rien, pas un vieux cahier ni même un livre à déchirer. L’envie se fait de plus en plus pressante. Un peu de monnaie suffirait pour acheter quelques rouleaux, mais j’ai beau chercher au fond des poches des pantalons qui traînent, je ne trouve rien, pas même une petite pièce. Il faut me rendre à l’évidence, je dois être un type fauché. Encore faut-il que ce soit chez moi ici ce dont je ne suis pas certain. C’est en tout cas le chez soi d’un type fauché qui n’a même pas de quoi se payer du papier-cul. Une seule solution s’offre à moi pour ainsi avoir le loisir de faire ça proprement : aller chier ailleurs, et vite ! Mon colon commence sérieusement à s’impatienter.

Je n’ai qu’à traverser la rue pour me retrouver dans le parc. Tourniquets, toboggans, balançoires, cages à singe et autres tape-culs sont déserts à cette heure-ci. J’y dessine les silhouettes des enfants absents qui courent. J’entends leur chahut, cherche à comprendre les règles d’un jeu auquel je ne suis pas invité. De toute façon je ne sais pas jouer. Et même si j’avais su, je n’aurais de toute façon pas eu le temps de me joindre à eux. L’urgence du moment est de chercher un coin tranquille où couler un bronze. Je reconnais le frêne sous lequel le chien s’était assis pour regarder le coucher de soleil. L’idée d’aller chier au pied du vieil arbre me séduit. Ce journal froissé fera bien l’affaire, c’est le Monde si je peux me fier à ce qui est écrit. J’ai le Monde en main, c’est une sacré responsabilité de s’autoproclamer le Monde. Un nom c’est déjà si lourd à porter, alors le monde entier… il faut avoir les épaules ! moi je suis plutôt frêle, je ne porte de monde que moi-même…

Contrairement aux diarrhées qui ne se font pas prier pour gicler une fois les fesses écartées, celle-ci joue la timide, se fait désirer. Ça va être plus dur que je ne le pensais. Il va falloir pour la faire sortir de son trou user de tous les stratagèmes, y compris celui de recourir à la force. Au commencement du travail est la première poussée. Elle est vouée à l’échec puisque malgré tout l’effort entrepris, pas un morceau ne sort. La seconde nécessite une volonté de lutter avec ce qui s’accroche à l’estomac comme un sentiment. Beaucoup de souffle à retenir pour pousser puissamment et démontrer par là à l’intéressée une vraie conviction d’en finir. Déjà plus proche, plus réceptive à mes appels, elle vient, lentement mais sûrement. Je la sens définitivement plus fébrile qu’elle ne voulait bien le laisser paraître jusque-là. Elle est prête à présent. Et c’est le journal à la main et l’air décontracté qu’elle pointe le bout de son nez pour finalement entièrement émerger sans même avoir recours à une autre poussée. Elle tombe dans l’herbe sans bruit, bien moulée. Je reste là, le cul à l’air, le front encore chaud, profitant de l’occasion pour lire ce que le journal me propose. Mais il fait bien trop noir pour lire les articles. Ils sont imprimés dans une police minuscule. Ils réduisent leur lectorat à écrire si petit. Il doit bien y en avoir d’autres qui lisent ce journal en chiant dans le noir d’un parc la nuit, ils devraient y penser…. Je ne peux donc lire que les titres : page 28 Chiens détecteurs de cadavre, page 22 La fin de l’Histoire, page 15 L’impossible arrive, page 6 Le pays saisi par la fièvre… Lui aussi donc ! Je dois tout de même rester méfiant devant cette information, mais il est bien probable qu’une épidémie de fièvre incurable se soit abattue sur le pays. Serait-ce la cause de mon amnésie ? Je ne suis probablement pas seul à être touché. Nous sommes-nous tous malades ? Certains sont peut-être même même déjà morts ! Est-ce la raison pour laquelle ils dressent des chiens bons à flairer les restes humains ? Afin de retrouver la trace de toutes les victimes ? C’est peu probable, mais après tout, c’est écrit, l’impossible arrive.

Texte : Anh Mat
Dessin: Anna Jouy

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Il y a quelqu’un ? ⎮ 1

22 dimanche Avr 2018

Posted by lecuratordecontes in Anh Mat

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Anh Mat, Il y a quelqu'un

am 1-2L’arbre de la connaissance

—Il y a quelqu’un ?

Personne. Ou bien je suis sourd. Qui sait ? Peut-être formuler la question autrement. Il y a quelqu’un ? Qui pourrait répondre à une question aussi vague… Sois plus familier, celui à qui je m’adresse est peut-être un intime…

—Tu es là ?

pas un bruit, pas une voix, juste un aboiement qui remonte à la fenêtre. Elle doit être mal fermée. J’entends la ville si distinctement. Bonne ou mauvaise nouvelle, je ne suis pas atteint de surdité. Je suis donc seul. Personne pour m’expliquer qui et où je suis. Tant mieux. Si quelqu’un répondait, il s’empresserait de m’apprendre mon nom et bien d’autres encombrements : une date de naissance, peut-être même une date de décès, une nationalité, des parents, une fratrie, une femme, un enfant, une foi, un travail, une maladie… Quoi d’autre encore ? Petitesses, vices, tares, tristesses, crimes, doutes, opinions, torts et raisons… longue liste de choses à incarner à chaque occasion de dire Je. Mieux vaut ne rien savoir, ne rien entendre à mon sujet. Et puis comment vérifier la véracité des informations divulguées ? Devrais-je croire sur parole le premier passant qui prétend me connaître? Dans mon état, je ne peux me permettre d’offrir à n’importe qui ma confiance. Je pourrais ne mal tomber et ne jamais m’en relever. Le premier venu pourrait s’avérer être le pire de mes ennemis. Lui ne se priverait pas de calomnier mon identité. Comment pourrais-je démasquer la supercherie, ignorant tout à mon sujet ? Mieux vaut rester prudent. La première personne à qui je vais m’adresser aura la responsabilité considérable de me mettre au monde…

Ça me tracasse cette histoire de rencontre. Il n’y a certes encore personne, mais je reste pourtant sur mes gardes. Je tente de me rendormir. Je glisse ma jambe gauche sous le drap, me cogne contre quelque-chose, un membre tiède, moite, velu, un corps sans nul doute bien vivant. Sans retirer le drap, je tâtonne la chose du pied gauche pour deviner ce que c’est. Il s’agit d’un orteil, d’un pied, d’un mollet, d’une cuisse, d’une jambe entière, figée, inerte, qui semble dormir. Stupeur ! Je n’étais donc pas seul. L’odeur de sueur m’est étrangère. Quelle présence se cache sournoisement depuis le début ? dans quel but ? pourquoi ne s’est-elle pas manifestée à mes appels ? fait-elle semblant de dormir ? est-elle fâchée ? me veut-elle du mal ? Comment désormais repousser l’échéance. Prends ton courage à deux mains, tire le drap et découvre le type tapi dans l’ombre prêt à bondir sur moi. Je suis prêt à présent, prêt à tirer le drap d’un coup sec comme on arrache un pansement, quoi qu’il arrive je vais le faire, je le fais ! Allez ! Vlan !

quel soulagement : Il s’agit juste de ma jambe droite. Ma jambe gauche a dû la heurter et dans la confusion et la crainte, j’ai cru à la jambe d’un autre. Excusez le ridicule de la situation : je traîne une lourde fièvre, mon corps engourdi se sépare peu à peu de mes sens. D’ailleurs ma fièvre est jusqu’ à présent ma seule certitude, l’unique preuve tangible de mon existence, sa chaleur circule dans le corps, elle bout derrière mes yeux embués, ma pensée avance à l’aveugle. Je me relève, m’essaie à quelques pas. Les jambes, bien trop faibles, ne me suivent plus. Je titube, peine à tenir en équilibre, entre désir de vertige et peur de tomber. Ça y est, je bascule. De quel côté du fil ? Je ne le sais pas encore, mais je bascule, et dans ma chute, j’ai désormais la certitude qu’il n’y a jamais eu rien ni personne pour me retenir…

Texte : Anh Mat
Dessin : Anna Jouy

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  • Ô 3 – Recueil de Poésie de Charles-Eric Charrier aux Editions QazaQ 5 juillet 2022
  • Présentation de « dans le champ de la pensée et du songe, le pommier rouge » aux Editions Az’Art – Vidéo Jean-Claude Bourdet 4 juillet 2022
  • Après la Nuit 1 juillet 2022

Les Cosaques chez eux

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