Bois et mots flottés, Dieppe, Argentique, 2019
Cannibale
Silencieusement
De colère, je ronge mes épaules, engloutis mes seins, dévore mon sexe
Féroce, à grands coups de crocs mugissants, j’arrache mon ventre, extirpe
Jette à la lumière, estomac, intestin, foie, rate. Mes cuisses, je les fends de mes deux mains, pour y ensevelir ma bouche vorace et le coeur
Que faire du coeur replié sur lui-même, noué, qui pousse sans se débattre
De fragiles battements, dormant comme un nouveau-né.
Je recule.
Cruelle! cruelle! Violence aveugle!
C’est alors que jaillit, de la lettre à vos yeux, le sang en une longue plainte abyssale et résurrectionnelle
Mon sang qui tache parfois le coin de ses lèvres, lacérées à coups de baisers
Et de mots mordants, de mots terribles, de mots craintifs que le poème
Soigne tandis qu’il me re-compose
Poètes
Qu’attendons-nous
Encore des mots
Qui
En les disséquant
Nous dissèquent
On a les doigts pleins
De sang et de rêves
Je touche mon visage
Appose sur ton ventre
Une caresse, nulle trace
Le sang, les rêves restent
Collés aux doigts
Le poème est
L’incarnation du désir
Premier territoire de
Notre enfance où l’on
S’amuse à reconstituer
Le puzzle, une pièce
Éternellement manquante
Bois et mots flottés
Deux charognes – échouées sur les galets – brume étourdissante – corps disloqués – Seule – matin – Présences –
La solitude n’est ressentie qu’avec les Hommes –
D’autres gisent – Cadavres – cadavres exquis – laisse de mer – le voyage, sa fin – commence entre mes mains – brouillard devant – vite marche vite – poursuite – euphorie – dépossession – m’y con-fondre – être fantôme – leur lumière accable
Le sel sur vos torses – ma langue – mes doigts – vous cherchent – là encore – vous cherchent – est-il possible
Est-il possible – dans le battement d’un mot – d’une heure morne – est-il possible – qu’une bête marine surgisse – salvatrice – mes doigts tâtent – pourlèchent –
Ici leur lumière m’accable – Solitude et société , Emerson – rejoindre votre souffle au creux des pages jaunies, ridées –
bois et mots flottés
Les jours de longue nuit
J’inspire au coin de ses lèvres
Les jours de longue nuit
Où je m’en vais voir la mer
Et repars en portant quelques gouttes
De son parfum dans le regard
Qui parfois coule, comme une ancre
La mer, Dieppe, Argentique, 2019
Textes/Illustrations : Marine Giangregorio