Extraits

DAMIEN PAISANT

p.24 – extrait

Etreindre qui ne peut pas toi l’abandonné
tu t’es porté disparu traîné hors d’amour toi
l’abandonné sans miroir souffre regard toi
l’invisible inconnu ta cicatrice se voit …

Où es-tu où es-tu où es-tu où es-tu
ne répondra pas du harcèlement

… dans tes faux pas

Etreindre qui ne peut pas donner
(droit d’asile)

p.25

IREN MIHAYLOVA

J’embrasse le spectre de ton corps. m’embrase.

Je caresse l’abîme de ta lumière. me carence.

Je renifle l’odeur de ton départ. me range
du côté des vifs, des morts.

Je lisse le vent des absences. m’enlise
dans la cavité sans fond de ton cœur béant, battant.

Manger des mots. me mange.

J’en ai plein la bouche.
Tendre tulipe fleur effleure jeune rose.

p.27

IREN MIHAYLOVA

Je bois le souffle des combattants. m’abreuve de larmes d’or.

J’ouvre l’abîme de ton cœur. la lumière m’inonde.

Je me noie, vague solitaire. le soleil
creuse ta tombe de l’autre côté des morts, des vivants.

J’escalade les plis de ton corps. ton corps t’extasie,
extrapole ma lumière.

J’atterre la lumière tendre tombeau vide, corps-
aréna de combattants. m’abreuve de larmes
d’or.

Ici.
Le
Vide.
Ici.

p.28

DAMIEN PAISANT

Des larmes pour voir ce qui retenait
mon errance ce qui m’arrêtait empêchait
les larmes du mur douleur pour voir
mon emprunte saigner de la lumière jusqu’à
l’éblouissement pour voir

Chronique de lecture par David Le Golvan

Lumineux désastres, poésies inédites d’Iren Mihaylova et de Damien Paisant, premier livre de la collection « Revulivres en poche », Peau Électrique Revue, 2024 : https://peaueleclabo.wixsite.com/revue

La question tout d’abord ou la trouble excuse d’une intrusion : faut-il faire écho ? Si oui, puisque le silence imposé au lecteur vaut acquiescement, quelle mesure – mot à prendre bien plus dans un sens législatif, moral qu’au sens spatial, a fortiori musical – donner à l’écho que l’on peut accorder à un ouvrage qui prend le parti d’en faire son credo et sa dynamique ? Quel lecteur légitime peut s’arroger le code ou la combinaison, si évanescents soient-ils ? Pour sauf-conduit, je pourrais, à l’extrême limite de la clandestinité, m’en remettre à mes précédentes expériences : Tirer les ombres d’Iren Mihaylova et Cogne de Damien Paisant, car mes souvenirs de ces deux recueils sont encore assez vivaces pour discorder le violon et l’alto*.

Mais quand le présent ouvrage s’accorde à quatre mains et à deux voix, toutes les références risquent de tourner à l’obsolescence. Reconnaît-on l’esprit frappeur de Damien Paisant dans Lumineux désastres ? Non. Reconnaît-on le lyrisme douloureux d’ Iren Mihaylova ? Oui et non. Lumineux désastres nous invite à une mystérieuse Nuit des rois, un échange shakespearien où l’un se drape de l’autre pour communier, dans un jeu magnétique de séduction ou d’induction. Damien Paisant porte vers la fin du recueil le deuil de Mathieu Bénézet tandis qu’Iren Mihaylova, dès le début du recueil, le conjugue au passé (« Je croyais / Voir la mort Sentir »). La poétesse exorcise en l’ânonnant l’inanité (« Sans vide. Sans vide de vide. Sans vide de vie. ») tandis que le poète la fleurit comme une tombe (« Je cultive les vers fragiles / qui viennent te sauver / Anémone noyée ») dans une langue poétique qui se cristallise, plus en silicules qu’en pétales. La partition s’écrit au fil des pages pour que les deux portées n’en fassent plus qu’une.

Et moi donc, dans ce vain exercice, me verrais-je seulement réduit à l’état de voyeur d’une érotique scripturaire. Je reviens sur la question : quelle est la place de ma voix dans cela ? C’est là qu’on imaginerait bien la seule consolation, apportée par les auteurs en personne, et qu’on pourrait interpréter ainsi : qui te parle de place ? Pourquoi chercher ce qui justement échappe à nousmêmes, ce qui ne peut, dans la paradoxale jouissance de la perte, que nous échapper ? Pourquoi t’arroger cette assurance alors que la poésie s’y dérobe ? Écoutons-les alternativement : la poétesse : « Tu seras plein d’avoir été vide », le poète : « Où es-tu Où es-tu Où es-tu ne répondra pas du harcèlement », la poétesse : « J e caresse l’abîme de ta lumière. me carence »… Abîme, silence, angoisse, en somme, toutes les dérobades qui menacent les êtres qui s’aiment et cherchent, dans une réassurance vaine car contre la nature de poésie, à se le dire. Vainement oui, mais dans une libre proximité.

Raisonne-toi, pauvre lecteur, pauvre Narcisse, et contente-toi de faire écho de deux échos : c’est déjà un pas, une voix… en attendant celle des autres.

David Le Golvan, romancier, chroniqueur

(*)Tirer les ombres, recueil de poésie, Iren Mihaylova, Sans crispation éditions, 2023.
Cogne, recueil de poésie, Damien Paisant, Sans crispation éditions, 2022