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Ce fut comme un filet de mots arrivés sans crier gare. Deux amis me les ont renvoyés, en images. Mots recommandés avec accusé de réception. Je ne les ai d’abord pas entendus. Des mots habillés, si habillés que la chose en était devenue étrange. Elle s’était même effacée de la conscience. Plus de représentation aucune. Cela s’était réduit à messageries. Et le terme s’est associé comme en un collier de perles, à messagerie, mail, mél. Et je ne sais pourquoi, incongruité suprême, comme dans le tambour de la laverie du langage, ont surgi tout mélangés : essorage, eau, pont, bateaux, dans le sillon des lumières et de leurs vagues sonores. Malgré les affiches vieillies, rien ne fit irruption. Du moins sur le moment. Puis maritimes a résonné du fond de la mer, dans les câbles qui sillonnent la route des algues, doublant les satellites au-dessus des nuages.

Et soudain, des mots, des images : Vietnam, Cambodge, Laos. Ecriteaux sur un ponton. Et une main qui s’éloigne. Jusqu’à quand ? Et des lettres manuscrites venues de Colombo, Port Saïd, Marseille.

Elles n’ont jamais été gardées. Juste enfouies dans la mémoire, en son lieu le plus sûr. Si sûr que tout fut bientôt enfoui, oublié, enterré. Il y en a eu. Des lettres. Perdues. Effacées. Ne reste que le soulagement. Le sourire du temps. Rien que du véridique. Reportages éclair. Sur bateaux de lumières. Si transformés qu’ils en sont venus à appartenir à la mémoire du monde. Et elle accroche les scènes de chacun. Un visage. Des visages. Des mains. Des mots. Ah, soudain, certains décrochent. C’est fini, ils tombent à l’eau. Mots maritimes. Cimetières marins.

Et voilà, encore plus en amont du ponton. Venus du ventre des bateaux. Des caisses, des tonneaux. De cette mondialisation balbutiante que les coolies descendent à dos d’homme. On les faisait manger après, comme ici on restaure les vendangeurs.

Soudain. Ecran blanc. Sur des affiches devenues étrangères. Des mots ont pris la clé des champs. Le temps passe mais il visite toujours la mémoire. Et elle s’excuse d’être si particulière. Si anecdotique. Voire insignifiante. Mais revisitée, la voilà qui redonne vie aux mots, au monde, à leur éternité. Des mots s’accrochent et décrochent. Travail de la mémoire, création de langage. Sur blocs de cire. Palimpsestes de pétales. Cédrats, roses, iris, litchis, tous pétris de feuillages. Qui embarquent autour de la terre. Encore une fois. Par surprise. Sur le radeau de ses mots valises : « Messageries maritimes ».

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Texte : Lanlan Huê
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