J’ai perdu mon bras j’ai perdu ma jambe nous avons attendu le bus en vingt minutes sommes arrivés j’ai mis mon bonnet pinceau au poing rouleau dans le ventre j’ai tapissé les heures les tâches les usures grand silence de l’araignée contente d’avoir un coin des plinthes pour lit elle se promène gaiement elle sait que plus loin d’autres en perdent leurs pattes continuez les offrandes les éclats jaunes de paix elle sait que tôt ou tard plus tard que demain elle va prendre ses pattes à ses antennes en d’autres termes elle partira chez la voisine ou dans les feuilles du jardin au revoir l’araignée
Texte : Aline Recoura (extrait d’un ensemble qui s’appelle Pichenette dans les mots)
Un garçon- chrysalide cristal du cœur des mères dans l’appartement un homard dirait-on comme dans un livre de la bibliothèque que je consultais à l’âge pareil de 13 ans le livre était pourtant du côté des adultes le complexe du homard je comprenais pas très bien un homard une chrysalide croise une autre transformation l’autre versant de la fleur ou la descente de la montagne celle qui abîme les genoux affaiblit les rotules ou la montée le long plat avant l’arrivée à la maison ou juste la suite le continu le mouvement devant la salle de bain
Garçon – Chrysalide s’enroule dans sa couette le temps d’une mue l’édredon de son lit l’édredon de son canapé lit l’édredon du lit de sa maman
Garçon-Chrysalide aux longues jambes aux bras si fins des tiges de tournesol des baguettes asiatiques des branches d’arbres d’hiver des muscles invisibles préparent leur envol imberbe pousse pousse les membres fatigué de cette mutation d’insecte du dedans le garçon s’essouffle vite il dort de plus en plus
Osseux de partout se nourrit de semoule et de pain de soupe aux vermicelles exclusivement des bonbons pas trop des dents grillagées transforment son sourire en clôture de poneys dans son corps croise la naissance et la renaissance
À la porte du miroir il rencontre la femme fleur la femme oiseau la femme ours la femme mère la femme végétale un ordre croissant vers le ciel ou la poussière ou la cendre ou la terre ou la mer la femme vie qui veut dorloter la chrysalide l’ombre dont elle a besoin pour faire sa mue
femme resserre ses pétales sur son corps l’eau s’évapore s’assèche au soleil elle aussi cherche l’ombre dans l’appartement
des bourgeons dans la sève des distorsions imaginaires de perspectives l’eau court dans les veines envahit le sang les globules blancs s’effondrent les cris la pâleur les sursauts de croissance un retour un allé il va pouvoir avoir des enfants elle ne va plus pouvoir en avoir unique elle fait du jus d’orange elles sont vieilles vieilles de plusieurs semaines la peau toute sèche elles ont rétréci semblent immangeables plus de jus plus de sucre plus de saveur
coupée en deux pressée à l’intérieur ça gicle pareil qu’avant elle donne pulpe sucre fraîcheur
elle face miroir pense à l’orange lui lévite reste dans l’eau du bain ne se regarde plus dans le miroir bientôt il ne voudra plus se couper les cheveux
La forêt ils n’en rêvent pas c’est pour les vieux ceux qui marchent lentement Les bras joints derrière le dos La digestion dominicale du trop mangé le footing le vélo la forêt décoiffe les filles ennuie les garçons y’a rien à voir y’a rien à faire à part le risque de se perdre et avoir mal aux jambes les arbres sont tous pareils les chemins interminables découragent les jeunes ils n’aiment pas voir l’horizon trop loin rien à atteindre rien à gagner la forêt c’est plat les chasses aux trésors pour les scouts ou les bourges même pas idée d’oxygène la forêt c’est pire que la Covid quand on veut rester dans sa chambre à quatorze ans
Pas sage devant la glace le petit miroir au-dessus du labo dans la salle de bain celui croisé tous les matins on y pense même plus on allume on y va pas souvent de fenêtres dans ces endroits lumière blanche lumière teint blafard ou jaune ou rougeurs lumière qui accentue les racines le cheveux sale le matin on y va je ne vois de moi qui est rien juste des yeux fatigués sans pensées car sinon retour au lit pressée accrochée aux aiguilles visages ni beaux ni laids naître sous la lumière jaune la même que celle du métro qui nous fait une tête d’anémiée
Je me lave la figure douceur du savon liquide clown blanche là je me regarde on ne voit plus que du bleu de mes mains je masse je mousse du bout des doigts front joues menton ailes du nez frotte tempes je réveille l’eau froide rince je me la lance éclabousse l’évier
Moi mon visage miroir intérieur de ce que je souffre de ce que je glane du sang sous les tapis l’eau froide les traits se raffermissent sortent des rêves qui me vieillissent
Je me lave les dents repousse l’odeur du café maman je dois me laver les dents lui se regarde met de l’eau sur ses cheveux à son âge dans ma tête un vrac de marché au détail
Crème hydratante la raffermissante pour vieillir moins vite croire du parfum pas pour sentir bon mais soutenir mon monde interne et ne pas sentir les lieux et les autres trop vite tant d’efforts tant d’années quand je vais regarder dans la glace qu’est ce que je vais voir une vieille dame
si je regarde je vois du blanc du marron du bleu du rosé un visage moins rond des joues qui se creusent malentendu entre le regard et les traits
Que sais-je de mon paysage on ne voit pas dans son miroir son regard celui qui nous porte celui qui porte l’Autre à notre porte celui qui claque la porte au nez
Dans la glace des grimaces des airs des essais des faux-jeux miroir menteur comme un selfie regard truqué creux il sourit au téléphone à soi-même qu’est ce qui peut bien donner envie de se sourire à soi-même même un autoportrait ne cache pas nos âmes selfie monnaie pixel
Passage devant la glace au-dessus des lavabos dans les toilettes d’autoroute les toilettes d’un grand centre commercial les toilettes d’un restaurant se laver les mains un menu prétexte je crois que la pire tête c’est celle des aires d’autoroute la bande d’arrêt d’urgence nous guette
La petite bête les insectes quand ils volettent les coccinelles ou les gendarmes les moustiques ou même la mouche le moucheron une petite poussière noire et ils ont peur terreur dans un petit jardin d’une école de l’herbe plumes de pigeons et bâtons ils grattent la terre cherchent la petite bête l’embêtent si elle est coccinelle à beaucoup autour d’elle ils s’agglutinent et se font peur Une crie une hurle une est effrayée un veut la tuer une dit elle est gentille aucun ne joue dans le petit jardin ils jouent à se faire peur ont vraiment peur ses petits enfants du goudron