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Les Cosaques des Frontières

~ refuge pour les dépaysés

Les Cosaques des Frontières

Archives de Catégorie: Anh Mat

Dans cette nuit à l’avant du jour

20 dimanche Sep 2020

Posted by ykouton in Anh Mat, Gwen Denieul, Marine Riguet

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Au commencement de la nuit est le mot. Tu en cherches un. Tu n’en trouves aucun. Rien ne commence. Lassitude de n’être plus qu’une succession de soupirs. Les minutes passent, amnésiques, elles ne racontent rien. Tout est sec. Chaque souvenir débouche sur un désert. Où s’est cachée ton histoire ? Dans quel quartier à l’intérieur ? Tu cherches à revenir sur tes pas mais tes empreintes ont disparu. La bouche ouverte sur un trou, tu décides de suivre celles d’un inconnu, un inconnu peut-être déjà mort…

Dans l’envers de la ville, je remonte le temps. L’alcool me rend le passé tout proche. Strasbourg – Saint-Denis, Château d’Eau, Gare de l’Est. Les différentes époques de ma vie me font signe. Le temps a une beauté froide. Barbès, Anvers, Pigalle. J’arrive dans le quartier des premières blessures. Je marche très amoché sous le masque. Ma malédiction, je la porte au visage depuis l’enfance. C’est la marque des bêtes infirmes de naissance qui passent leur vie terrées dans les fourrés. Les autres condamnés, je les repère d’emblée. Comme moi, ils sont défigurés de l’intérieur. Les fils sans père se reconnaissent d’instinct.

Flux sinueux des solitaires à la sortie du métro Pigalle. Promeneurs fiévreux, fêtards désœuvrés, fantômes entre deux âges. Des flots et des flots de langueur et d’espoir. Comme eux, je cherche un lieu. Je cherche un lieu sans désir bien défini de le trouver. Les mains nouées dans les poches de mon manteau, je tourne autour de ce que j’ai oublié. Dans l’atmosphère, une sorte de menace, et dedans la tête, quelque chose de fatal, de tendu à l’extrême. La mémoire se met en marche d’elle-même. Je suis de nouveau ce jeune garçon abandonné dans la nuit. En silence, comme un chat, je m’approche de mes monstres. Dessous en vinyle, cuir et latex, la tête prend un coup de chaud devant les vitrines aux mille gadgets de carnaval. Ces cases de soi-même qu’on préférerait oublier… Je changerais tout si je pouvais, je vous jure, j’aurais préféré une vie simple et droite.

 

Ça rit comme avant les dimanches au loin les clochers 

Et les draps qui claquent tout près des fleurs sauvages

Mais ici, sans draps sans corde à linge sans bosquets

Les églises enchevêtrées aux grues qui tissent à tour de bras des pièces vides

 

Ça rit

Ça rit comme ça recommence

comme les jambes qui s’acharnent encore contre la ville

À bout de lumière et de béton

Même si plus personne ne nous porte sur ses épaules

pour traverser la rue comme avant la rivière qui nous donnait un nom

 

La ville s’assombrit, un néon après l’autre. Si on tend bien l’oreille, on peut désormais distinguer le silence. Et pourtant, tu soupçonnes la présence de nombreux témoins derrière. Peuplent-ils les murs ? Même seul en scène, il y a comme un mouvement de foule en coulisse, des murmures qui semblent souffler le texte à écrire…

M’éloignant des boulevards, j’erre dans les ruelles les plus sombres et les plus crasseuses de la ville. Quantité de morts sous mes pas. Bouffées de réminiscences qui vont finir par me rendre barge. Tout ce que j’ai aimé, tout ce que j’ai touché. La somme de mes gestes, les erreurs de mes doigts. Le passé est une maladie qui ronge. Tout au fond de l’ombre, le commerce caché bat son plein. Je connais par cœur ces palais de reflets dont l’escalier central, derrière le guichet vitré, s’enfonce dans le sous-sol. Tout en bas, enfermées dans de grands aquariums, les filles étourdies d’alcool miment les exaltations véritables, tandis que des fantômes respectables, égarés dans l’ombre des cabines, gigotent en silence. Fatigue des visages.

 

Les voix, éclats luisant dans les passages

Miment les glycines

Elles empruntent la joie

qui se coupe entre les lampadaires, se vend se troque sans être vu

Le temps de remouler un visage

 

Ça rit comme : c’est encore là

Dans cette nuit à l’avant du jour

Où l’on marche 

dans ce temps que le jour met à venir

c’est encore là

Tout ce qui nous ressemble mais ne sait pas me reconnaître

Les odeurs intermittentes, les façades aux reflets de carton

Et le sol sous les talons qui fait plateau de théâtre

Sans mémoire de forme

Le son mat

 

Je n’ai rien à imprimer

je suis l’ombre ambulante du monde que je porte

Et que j’ébruite encore un peu sur les vitrines éteintes

Tout ce qu’on raconte sous ce qui vient

Tout ce qu’on retient en marchant

la ville le recommence

sous ses néons de scène, on rejoue

un instant

Les jours, les jardins, les disparus de la maison natale

C’est encore là

Dans les rues

On joue

On joue à faire forêt avec nos vaincus

à prendre pour peuple les souvenirs dressés à hauteur de grue

Leurs troncs titans, leurs branches

Élargissant la nuit

 

Mes pas sonnent creux dans les rues désertes. Vertige de la marche le ventre vide. L’insomnie bouscule tout dans ma tête. Je marche longtemps, longtemps pour épuiser mon amertume, je marche jusqu’à m’en faire trembler les jambes. La rue semble vaciller. Des bouts d’idées comme rêves. Ce qu’il faudrait faire, comment il faudrait vivre… Simplement être, à peine visible aux autres. Les idées folles qui nous traversent. Nos êtres comme vent. J’avance dans la nuit désorientée sans nulle place où habiter. Je m’égare dans les rues mortes pour ne plus jamais dormir…

Ne plus jamais dormir… plus jamais, préférer t’engouffrer dans une phrase dont tu ne reviendras pas. Malgré le risque tu t’y jettes, à l’aveugle, la main devant toi, à la recherche d’une voix à adresser aux morts. De ta bouche ne sort qu’un souffle inaudible. Le mutisme te condamne à la nuit blanche, malgré la fatigue accumulée, les cernes pleines de rêves en latence, la nuit lutte de toutes ses forces contre ton sommeil, elle règne sur ta conscience, force les confidences, révèle tes secrets. La nuit se souvient des rues, des noms, des paroles, des regards, des gestes — toute son obscurité te compromet.

J’ai besoin de la nuit pour voir. Le jour, tout est tellement là que mes yeux ne voient rien. L’alcool m’aide aussi, il creuse chaque détail. Je reste longtemps assis sur le banc de la petite place. Tandis que la ville continue, je m’absorbe dans la contemplation de l’infime, au ras du réel, à même sa peau. Les minutes passent. Fragilité des formes qui m’entourent dans le brouillard nocturne. L’extérieur s’incorpore doucement en moi. Peu à peu, l’habituel se révèle insolite : coups de frein sur la route, passage piéton à demi-effacé, éclats de verre de l’abribus, canettes vides, mégots écrasés… Je reste là dans le calme. Je respire lentement, profondément. Ma chemise est trempée de sueur, serrée sur ma peau, mais la fièvre est retombée. Dans la brume et dans le noir, je suis relié à toute chose au hasard du corps. Désir fou de ce que je suis en train de voir et de sentir, ici, maintenant. Je n’invente rien. Tout est là, devant moi. Le réel palpite dur à chaque instant.

 

Je vous vois

Je suis encore un peu de la terre des vergers

qui vous porte parmi les rires et les ombres

Et le reflet d’un soleil ancien sous lequel vous poussez

Je marche, la nuit croît

Il est si tôt pourtant

Trop tôt pour s’arrêter

 

Les coqs de combat commencent à chanter. Il est temps de se battre. L’écran est noir. L’insomnie meurt à la lumière du jour. Tu arrives au bout de l’épreuve avec un sentiment d’inachevé. Il reste bien quelques aveux. Qu’importe, l’aube efface déjà tout. La nuit brûle… et tu ne fais rien pour arrêter l’incendie.

Dans l’aube fraîche, reflets mobiles comme des frissons, détails au-delà du fixe, dans les intervalles, éclairs de presque rien. Un monde neuf apparaît à la surface tremblante des choses. Une brise légère fait danser la poussière du décor. Un sac plastique au milieu du carrefour joue avec le vent. Le ciel change. La lumière revient.

 

Texte/Vidéo : Anh Mat – Gwen Denieul – Marine Riguet

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Instantané #5 «passer à côté du monde»

11 vendredi Sep 2020

Posted by ykouton in Anh Mat

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L’éclat du soleil me dévisage. Virage à droite, tout droit. Jusqu’à la fin du trajet. Toujours le même. Ce même trajet jamais pareil. Combien de fois l’ai-je pris ? Je commence un calcul absurde. Puis j’abandonne à la vue du fleuve. Ici les bateaux ont des yeux. On leur peint des yeux oui. Tous portent le désir d’un départ. Vers un destin que j’ignore. Je rêve d’yeux camera, d’oreilles enregistreuses, de phrases écrites à la seconde où elles jaillissent dans la pensée. Parce-que combien de ciels, de scènes, de postures, de voix, de lignes, de couleurs, d’instants ratés. Ratés pour toujours. Je suis des milliers de notes jamais écrites, d’images jamais saisies. Je pense toujours m’arrêter ici ou là, faire un détour, cinq minutes suffiraient. Mais je remets à plus tard. Ne m’arrête jamais. Qu’est-ce qui me presse autant ? Pourquoi je me laisse ainsi passer à côté du monde ?

Texte/Vidéo : Anh Mat

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si je viens à votre rencontre

25 mardi Août 2020

Posted by ykouton in Anh Mat, Marine Riguet

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— Si je viens à votre rencontre au beau milieu de la nuit, c’est pour en finir… non comme on en finit avec un livre, mais comme on en finit avec quelqu’un. Avant même de vous rencontrer, je vous imagine ainsi, tel que je ne vous connais pas. Veuillez m’excuser mais je ne sais plus tutoyer. J’ai cette névrose de penser que le vouvoiement permet de murmurer plus décemment ce que nous pouvons peut-être « partager », partager le vital désir de partager (Jabès)

— Je ne sais pourquoi, j’appréhende chacun des mots que je veux vous adresser. C’est justement cette peur qui me donne le courage de m’adresser à vous cette nuit. J’ai d’abord pensé m’en remettre au secret, ne plus dire, plus jamais, à personne, que j’écris… parce-que j’écris. Comme vous. J’écris dans le néant depuis une vingtaine d’années maintenant. Ça n’a mené nulle part. L’écriture n’est pas censée mener quelque-part. Mais aujourd’hui je suis encore plus perdu, au fond du tunnel des phrases duquel je ne vois pas le bout… il fait si noir. Ce soir votre tunnel croise le mien, ça arrive parfois. C’est rare qu’un autre apparaisse, et incarne l’absence de frère humain, l’absence de Dieu…

— Un jour sans lendemain, ma voix disparaîtra subitement, d’un claquement de main, peu m’importe quand, sous les yeux de celui devenu, qu’il le veuille ou non, mon seul témoin. Vous. Vous seule trouvez assez de temps perdu pour échouer sur le sable gris-cendre de mes nuits. Vous seule me faites l’amitié d’un instant de lire à contretemps, dans un autre présent, la présence de ces lignes blanches et sans sujet. Quelle que soit ma personne, mon personnage, mon nom, j’ai la certitude d’avoir quelque part, là-bas, à quelques pas de moi, une sœur de sang noir, celle d’une encre sans visage que jamais je ne rencontrerai.

— Vous savez de moi ce que vous ignorez. Ainsi, puisque nous nous devons dans nos travaux d’écriture publiés, d’effacer notre nom, décharger notre pronom de notre insupportable moi, user de la fiction pour à la fois se dire et s »échapper de ce « dit », j’espère qu’ici, nous pourrons, l’un comme l’autre, sans culpabilité aucune, nous livrer à partir d’un « Je » le moins fictif possible, un « Je » qui se rapprocherait de celui de la parole, sauf qu’ici nous ne parlons pas.

Est-ce vous Est-ce vous qui se rencontre lorsque je marche en moi – loin – si loin que la nuit se dévêt elle aussi de toutes ses formes humaines, de toutes ses voix, jusqu’à n’être plus qu’un halètement chaud, lent, que je traîne en bête. Est-ce vous que j’entends, parfois, aveugle, quand plus rien d’autre n’entre depuis longtemps, mais que ça craque, furtivement, comme le souvenir d’un pas quelque part, entre tous mes visages recouverts d’un drap ? La présence qui advient après l’arrêt de l’attente, dans le silence sorti du silence, presque par accident, la présence d’un monde qui perdure, qui s’entête : C’est vous.

Je ne sais pas parler. Ne m’en voulez pas. Je suis faute de parole. J’écris comme compter des murs dont on se remémore les greniers. C’est un inventaire maladroit. Ça ne laisse pas beaucoup de place. Pour croire, croire qu’il peut y avoir quelqu’un. On oublie. Soi, l’autre, peu importe, au même endroit. J’ai oublié. Vous dites-vous. Vous… celle que vous appelez ainsi m’est inconnue. Mais c’est un lieu n’est-ce pas, ce Vous où nous sommes. Vous et moi. Cette même nuit qui nous apprend à voir, qui nous accommode, là où les jours passent sans plus s’ouvrir ni se clore. Peut-être, lorsque nous saurons, lorsque nous parviendrons totalement à voir, n’aurons-nous plus besoin de mots du tout. Peut-être la nuit nous apprend-elle à nous taire. Peut-être écrivons-nous pour cela. Nous acheminons-nous.

 

Texte/Vidéo : Marine Riguet & Anh Mat

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Le Livre Qui M’attendait

14 mardi Juil 2020

Posted by ykouton in Anh Mat

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Garde le silence au sein même de ton silence, ne m’adresse rien, rien, pas même une pensée, rien, moi enseveli, je continue de t’écouter, guettant pour te saisir à la gorge la moindre faute, la moindre fausse note, le moindre mot à démasquer…

Tu remontes dans ta cellule, la pensée encore pleine de terre. La porte n’est jamais fermée à clef. C’est tout de même étrange. Te serais-tu enfermé de ta propre volonté ? Cette prison n’est peut-être qu’un refuge pour les âmes fugitives, un asile de rêveurs éveillés, ou bien la demeure d’angoisse d’un homme en perdition…

Au fond qu’importe la nature de ce lieu. Si tu ne sors pas dès maintenant de tes sept mètres carrés, tu risques de devenir fou. Pas le moindre bruit jusque-là. Pas même le pas du petit homme en kesa qui marche toujours pieds nus. Tu ne l’entends jamais venir. Quand il ouvre ta porte, il apparaît de nulle part, reste un moment à relire ta feuille comme s’il y avait là une énigme à résoudre, l’aveu d’un lourd secret à déceler. Puis il disparaît à nouveau dans un endroit que lui seul connaît. Va-t-il à la rencontre d’autres détenus encore plus silencieux que toi ? Combien êtes-vous entre les murs de votre solitude ?

Tu empruntes de longs corridors inconnus avec le sentiment tenace de la présence d’un regard sur toi. N’est-ce pas l’écho d’un bruit de pas juste derrière le tien ? Tu te retournes brusquement… personne. Mais rien ne t’enlève l’angoisse d’être observé. Tu commences à croire ce que tu ne vois pas. Timidement tu demandes :

— Qui est là ?

— …

Tu reconnais un silence familier. Tu cries mais pas un son ne sort. Ta voix est blanche, presque sans souffle. Ton cœur bat au rythme de sa terreur. Tu cours, tapes aux portes à grands coups de poings, de pieds. Toutes restent fermées comme les yeux d’un lâche sur un crime qu’il feint d’ignorer.

Enfin, au bout d’un énième couloir, tu en aperçois une entrouverte. Tu t’y jettes la tête la première, refermes précipitamment derrière toi avant d’éclater en sanglots, à genoux contre la porte, les deux mains agrippant la poignée, effrayé à l’idée d’être à nouveau pourchassé par cette menace invisible…

Calme-toi. Tu ne risques rien. Lâche la poignée et retourne-toi sur la pièce dans laquelle tu viens d’entrer… C’est une bibliothèque. Immense. Ses rayons sont étrangement vides. Dans la poussière les empreintes des ouvrages disparus. Rien ne dit ce qu’ils sont devenus. S’ils ont été empruntés. Tous ? Sans exception ? Impossible. Les aurait-on brûlés pour les faire taire ? Les pierres tombales qui jonchent la cour du cimetière recouvrent-elles des cadavres de pages, de phrases, de vers, de voix, de mots enterrés vivants ?

L’angoisse te reprend à la vue d’un livre, le seul livre restant. Tu as le sentiment qu’il n’attendait personne d’autre que toi. L’aurait-on oublié là volontairement ?

Son titre : Monsieur M., manuscrit d’une écriture étrangement familière. Est-ce le nom du personnage principal ? De l’auteur ? Tu restes des heures à te poser la question devant le livre fermé. Après une longue hésitation, tu finis par l’ouvrir…

Regarde : toutes ses pages sont vierges… et numérotées. Tu tournes chacune d’entre elles à la recherche d’une trace, d’une tache, d’une larme, d’une goutte de sueur révélant l’existence d’un homme quelque part. Mais tu ne trouves rien, rien que le blanc laissé au parloir de la langue.

Alors les yeux fermés, tu poses les doigts sur le livre ouvert. Tu ne saurais dire si ce sont tes mains ou tes oreilles qui tout à coup entendent le semblant d’une voix étouffée au loin. Que dit-elle ? En quelle langue ? Tu devines à son intonation qu’elle pose là une question, question venue de nulle part et qui semble ne s’adresser à personne. Peut-être que ce livre n’a jamais attendu de lecteur, qu’il est fait pour écrire, seulement pour écrire… et que tout mot a échoué à cette tâche.

Texte/Vidéo : Anh Mat

 

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Instantané #3 « Ouvre les yeux »

24 dimanche Mai 2020

Posted by ykouton in Anh Mat

≈ 1 Commentaire

Ouvre les yeux. Tu ne te souviens de rien ? De quoi s’agit-il ? Une nuit vécue ? écrite ? un rêve oublié qui à présent te revient, en bribes ? Débris en désordre à reconstruire dans un temps et un espace qui n’est plus le tien… Tu étais je, il, elle, eux, nous, vous, tous les personnages de ta nuit. Tu étais son décor aussi, labyrinthe de rues flottantes, couloirs d’immeubles à milles étages, fenêtres ouvertes d’où désirer t’envoler, portes fermées à double tour où regarder par le judas des secrets lourds, des trahisons, d’ignobles révélations, tu étais une fuite, une course à bout de souffle, le goudron bouillant d’une route sur laquelle chacun de tes pas prit feu. Tu étais le coin d’un parc où l’ombre des enfants absents jouaient à faire la guerre… à faire l’amour aussi, l’air coupable, cachés derrière un buisson. Tu étais une petite robe blanche, des socquettes sentant les pieds. Tu étais la gêne d’un rire confus, la peur excitante de te faire gronder. Tu étais la chaleur, la moiteur, le ciel menaçant, les grondements, la lutte des oiseaux contre le vent. Tu étais le chien, le chien qui mange un mégot, une clé tombée d’une poche, un petit bout de papier froissé, probable message égaré par son messager. Le message est dans le ventre du chien. Le chien porte peut-être une lettre d’amour… qui sait ? Tu étais tout de ton rêve, tout dans le moindre détail, tout, sauf quelqu’un. Dans cette transe ambulatoire, tu étais un récit sans narrateur, sans lecteur, un récit seul qui avançait, qui n’avait pas besoin de début ni de fin pour se raconter. Alors quand au petit matin, un bruit, une odeur alentour pénètre dans ton sommeil pour le polluer, tu essaies tant bien que mal d’ignorer la chose, de préserver ta fatigue restante, lutter contre la volonté de ta conscience, refuser le réveil… pour te soumettre encore un peu, quelques minutes, au rêve que tu t’apprêtes à oublier.

 
Texte/Vidéo : Anh Mat

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