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février

 

Jours neufs. La lumière tourne, comme le vent, comme la chance. L’aube m’échappe ; elle recule dans un coin de montagnes, à l’Est. Elle se rétracte dans les lisières de la nuit. Elle parvient désormais à ma fenêtre quand je dors encore. Ce sont des aubes décroissantes, des aubes de cachette, de calice, dans un nectar d’étoiles et de lune. Ces aubes de dessous les paupières, tandis que mes rêves deviennent clairs ou colorés, traversés des premiers rayons. Je dors sereine dans des aurores secrètes et furtives qui frôlent l’oreiller dès février.

Dans la haie, le murmure enfle aussi. L’amplitude des lueurs résonne entre les branches, comme si la clarté nouvelle offrait aux oiseaux des gorges plus rouges, plus lyriques encore. Et je perçois ces bourgeons, ces tétons de feuilles qui attendent d’éclore et d’envelopper les arbustes de doigts verts. Mon corps cherche lui aussi la sortie. J’habite une coque trop étroite. Mes bras, mes jambes, mes recharges de souffle, mes pupilles ouvertes comme celles d’un chat qui veille l’instant de bondir.

Jours neufs. Février est un mois de devantures, d’enseignes aux néons, de trailers ; il fait la pub du film de l’année, il vend le futur, engage les paris…Ce sera une belle histoire en 12 épisodes.

C’est trop tôt pour le printemps. Ici ce ne sont que des filages, des séquences, des extraits. On essaie la saison nouvelle par moments, on goûte, on apprécie, on teste le scénario de vie et d’amour de cette nouvelle année. Une année de lumière, d’apesanteur, une année douce et pleine, aux volumes renfloués de plaisir et de beauté. On teste par brèves et senteurs, la prochaine saison. L’hiver lève le voile sur nos envies, il entretient le désir et la patience qui va avec : bientôt je dormirai moins, bientôt je ne serai plus grise, bientôt je saurai à nouveau pépier et fleurir.

Sur ma table de cuisine, un oignon finement peluré. Deux ou trois couches de feuilles sèches autour de la noix blanche. La robe tient à peine. Seule la dernière étoffe s’accroche à la neige qui fait pleurer. J’enfonce mon opinel, je déshabille le bulbe de l’hiver.

Ma grand-mère disait que l’on pouvait prédire la durée de la mauvaise saison aux fanes des oignons. Celle-ci devrait être courte mais tenace. Je paie mon écot en pleurs. J’aère mon faux chagrin. Le ciel de ce midi est doux, prometteur et savoureux. Par touches, février m’offre ses amuse-gueules. J’entrevois le menu principal. Délicat, bleu, à déguster.

 

 

Texte : Anna Jouy