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le soupirail

Sitôt que je sors de chez moi et que je ferme la porte, la route ouvre la sienne. Le jour est. La pluie aussi. Les maisons ont le visage fermé de ceux qui se lèvent contre leur gré. Les arbres en revanche, respirent et bruissent d’oiseaux et de ciels. C’est la saison rousse des grandes mues avant l’entrée en hiver. Ils muent donc. Les feuilles entament leur dernière danse, très lente, comme il se doit – pavane pour une saison défunte.

La route glissante me fuit, moi la fuyante. Je laisse la voiture sur le bas-côté. Une voix dans mon dos : « Eh ! Susie ! C’est toi ? » Me retournant, je reconnais le sourire de cet homme mort depuis dix ans déjà. Il s’avance et se présente comme le frère du fantôme et dit me reconnaître d’après une photo montrée par B. qui lui avait beaucoup parlé de moi. Gênée, je ne sais que lui bredouiller de piètres raisons de me retrouver ici, à l’endroit où il est tombé, foudroyé. De nouveau ce sourire qui survit dans le frère survivant. Non, ce n’est pas un pèlerinage, c’est autre chose. Je cherche une porte. Non, pas celle de l’au-delà, rassurez-vous, je ne suis pas folle même si… La même élégance aussi de ne pas insister davantage. Qu’y aurait-il à ajouter ? Il s’éloigne. Je m’avance vers le soupirail.

La porte soupirée. Nul soupir ne s’en échappera. Cependant. Oui, comment y pénétrer ?  demande-t-on au Chat Cerbère, qui se tient à l’entrée du soupirail. Il garde l’entrée et le silence. Ses lieutenantes – trois souris malicieuses – piétinent mes acouphènes. À pas menus, je tente une nouvelle approche. Cependant. Et la lumière. Quoi la lumière ? soupire le Chat blanc – ai-je dit qu’il était blanc ?—Cerbère. C’est le propre du soupirail de laisser entrer la lumière, non ?  Non ? refais-je, timide et suppliante. Les souris grignotent mes acouphènes à qui mieux mieux. Fais le vide, fais le vide, me dis-je. Bien, maintenant, un grand soupir. Voilà, la voie est libre, dit une voix. La porte soupirée.  Tu y es. Descends maintenant, descends dans la cave ou le cachot.

Qui est ce prisonnier qui gémit ? L’abbé comment déjà ? Le Château d’If. Edmond Dantes. Non ce n’est pas ça. Bleu soupiré. Noir lamento. Noir soupir… Toujours l’appel du bleu sur le blanc de la page. Plonge, gratte, griffe. Bien, bien, ça avance bien, ne lève pas la tête. Il te suffit de le savoir là, le soupirail, l’échappatoire vers le grand bleu du ciel. Ne lève pas la tête. Soudain, le chat Cerbère bondit sur le cahier. Je m’échappe. Soupir.

 

Texte : Christine Zottele
Photo : Claude Camilleri Salaün