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Je sais, mon ami, j’ai promis de t’écrire. J’avais quelques sujets, les feuilles, l’automne… Je voulais te parler de ces nuages, des voisins, des dahlias à rentrer. La météo aussi, le froid qui rentre partout, des habits d’hiver, du feu de cheminée. J’avais ce genre d’idées hier encore. Je voulais te dire le bonheur d’être en vie, la musique, le poème. J’avais soif de te raconter le petit rien, le minuscule, l’état cotonneux de mon âme quand il me semble que je suis comblée. J’avais envie de te raconter un rêve, de te peindre des images fortes, d’extraire de ma mémoire un souvenir parfait. C’était ce que je voulais hier encore mais qui me sort par tous les pores, ce lundi à vomir.

Hier, j’étais parmi les gens. On dansait, on chantait. On fabriquait sur la scène le plaisir futur d’un spectacle. On était solidaires, on s’écoutait, on se suivait, on mettait ensemble nos forces, nos rires, notre grand imaginaire. Hier, on était quarante à nous sentir formidables, convaincus, actifs et efficaces. « Nous réussirons, ce sera beau, ce sera bien ! » Hier était joyeux.

Tu sais que j’ai un esprit plutôt « positif », que je suis même parfois philanthrope. J’essaie de garder le nez en l’air, le plus possible. Ça ira, que je me répète. Mais on est lundi, le 29 octobre de l’an 2018. Et depuis mon écran, je lis, je vois, j’entends que le Brésil a choisi la haine, la stupidité, le sectarisme. Que le Brésil, immense, coloré, multiracial a failli à l’humanité toute entière.

Mon ami, je pense que tu comprends combien cette nouvelle ébranle ma foi en l’avenir, combien je me sens salie et couverte d’immondices qu’une telle monstruosité puisse revenir au monde. On sait déjà ce qui se passera et qu’on y reviendra. Décidément, l’homme peine à prendre ses leçons.

Tu me diras que ma peur est inutile, qu’elle n’ébranlera personne. Tu as raison sans doute.

Tu me diras que je pourrais t’écrire sur un autre sujet. Je sais bien pourquoi des gens peuvent faire ce choix de mort et tyrannie. Ils n’ont rien pu lire, apprendre et comprendre. L’ignorance, l’impossible accès au savoir… Oui Jan, je pourrais bien sûr t’écrire sur l’enseignement, sur la nécessité de l’éducation. Je le sais bien, c’était ma tâche. Mais ce matin pourtant, ma bibliothèque devient un refuge. Je m’entoure de ces mots, de ces poèmes, de ces histoires, de tous mes livres si puissants mais qui en sont réduits à juste me protéger de l’effroi d’un lundi sur la Terre.

Texte : Anna Jouy