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silhouette

Et je vois un visage. Qui remplit tout le cadre. Des yeux, de la peau, des poils rasés trop vite. C’est jaune comme une cire ancienne. Ça ne bouge pas. Ce visage me regarde lui aussi. Nous nous lisons mais nous ne nous comprenons pas. Je ne sais pas s’il est beau ou s’il me plait. Je ne distingue plus d’entre ces traits, lesquels sont séduisants, lesquels frappent en moi un air connu. Ressemble-t-il à quelqu’un que j’aurais trouvé étonnant? Est-ce sa façon de cligner des yeux, sa façon de sourire ou de tenir ses mâchoires serrées? Ça remplit le cadre.

Je vois un visage. C’est dans la tête. Il serait impossible à dessiner. Je ne sais plus mais pourtant c’est bien celui de cet homme. Je le sais comme dans les rêves. Les gens prennent des allures impossibles, pourtant il s’agit bien d’eux, jeunes enfants ou sombres fantômes. C’est un visage flou. Je ne peux pas faire de mise au point. Trop près peut-être, trop envahissant. Il colle à ma rétine.

Cet homme avait un nom. Je le connaissais. Mais comme ses traits sont indécis, je ne sais plus qui il est.

Certaines histoires n’ont pas de paysage. Elles se déroulent sans fond, sans couleur, sans volume. Elles hésitent entre exister et se laisser deviner. Elles sont balbutiantes, presque sans mot. Elles se racontent seulement en juxtaposant des impressions. Cette image blanche, ce vide de la chambre, ce lit brusque et froid. On extrapole, on fait ses collages.

Ce visage me fait penser à l’amour. À l’amour et au silence. Je le sais seulement de ce mal de poitrine que j’ai en essayant de le rendre vivant. Il vient dans ma collection d’impressions, comme un prototype. Un modèle, une représentation.

Il me regarde mais ne me dit rien. Ce silence est une histoire. Frapper à cette porte, entrer par effraction, écouter comme il continue sans fin à dire et redire les identiques choses de sa vie. Ou alors de la mienne. Je le regarde, est-ce lui ou est-ce mon image? Quelle histoire je me raconterais en essayant de faire son portrait?

De mes mains, je le repousse. Je l’éloigne. On m’a dit que je n’y comprendrais rien si je ne prenais pas mes distances. Ce sont des choses que l’esprit ne peut pas faire. Tout ce à quoi il songe, est au premier plan, sans recul et sans espace. Je pense comme un télescope. Il faut imaginer alors que ce visage s’éloigne et se détourne. Que je peux maintenant le suivre et l’observer.

Ce n’est plus un visage. C’est un corps, qui marche lourdement. C’est un corps inélégant, trapu ou gros, ou large. Sans grâce. Son corps ne va pas avec sa tête. Il devrait être long et fin. Mais non. Ce corps s’est ramassé, empilé, entassé. Je le regarde s’éloigner de moi, plus lourd chaque pas. Comme s’il était une neige bonhomme. Il fond. Il disparait.

 

Texte : Anna Jouy