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Certaines histoires commencent avec un paysage. On voit la mer ou des champs. Long panorama. Le décor, cette île, ce village paumé, la ville. On s’installe dans une image. On y prend ses aises. On sait déjà. Pas tout mais on a une idée, des références. On résonne de tout ça. Ce sera mélancolique ou joyeux. Ce sera mort, nerveux, étouffant. On résonne simplement.

C’est un corps assis. Une boule nerveuse sur un canapé. Les genoux sont relevés, les bras les ficellent. La tête penchée en arrière sur le dossier. Les yeux fermés plongent dans le plafond. Que se passe-t-il? La musique sans doute, qui va et vient au gré des mouches autour d’une ampoule. La musique, le crin d’un violon. Lent comme la fumée qui monte aussi. Il y a cette nappe bleue tendue sur les poutres. Le corps assis respire. Il enfle et se défait avec une amplitude courte et rapide. L’homme sur le divan ne parle pas. Il occupe l’espace avec de la cigarette, des banderoles de gitanes qui flottent là-haut. Des rubans de prière.

La maison est sombre. Les ombres des grands arbres logent à demeure. On ne voit pas le ciel.

L’homme assis tend la main. Il prend son whisky. Les lèvres se collent au bord du verre. Il boit épais, large, la bouche dure. Il boit comme les gens qui ont soif. Il n’a envie de rien. Ou alors ce dont il rêve n’est pas ici.

Une petite fenêtre donne sur la forêt. Ou une haie. C’est un carré vert dans la chambre au sol de bois rouge. Une image percée dans un bunker. Le divan est gris, usé. Le corps de l’homme fait partie de lui. Une fatigue grise échevelée qui plonge à l’intérieur de lui et en moi qui le regarde

  • Prends un verre.

Je ne vois pas si j’en prends un. Qu’est-ce que je fais alors? J’imprime une image de chambre sombre avec un homme assis en tailleur qui fume en pensant à quelque chose que je ne saurai pas. Peut-être que je lui demande

—A quoi penses-tu?

Je ne crois pas qu’il répond. Ne pas être là où on l’attend, même si ce besoin fait que finalement on sait toujours où il est.

Dans l’image, il y a des incrustations. Des volumes de poutres, des angles morts, des nids.

Une absence de vie, partout. Comme si l’effacement avait une couleur, terne et lisse, une élégance aristocratique. Une harmonique, ton sur ton. C’est un lieu désanimé.

Je ne sais pourquoi mais je porte encore les traces de cendres de ce foyer sans autre bruit que des cliquetis de couverts et le son éthéré des églises de Pärt.

Le malaise m’habille. Suis-je nue?

 

Texte : Anna Jouy