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Parfois, on aimerait n’écrire que des sons. On s’imagine sur une feuille, marteler le bruit. Des voyelles à l’appel. Au moins ça.

Parce que dans la tête, tous les mots s’emmêlent en une langue étrangère. Vous êtes si loin de vous. À des frontières, à des douanes cadenassées. Vous êtes allogène, à peine installé dans ce corps texte, ce territoire, ignorant la parole du nouveau lieu.

Dans la tête, le chaos qui broie, qui cogne la langue. Vous vous mordez, vous, vos mots, à grands coups de canines. Vos joues sont pleines de ce crissement du chant qui passe dans les déchiqueteuses, émondé, granuleux. La bouche est une poudrière étouffante.

Entre vos lèvres, une mousse singulière. Les aveux, les rires aussi, le début de vos histoires. Il était une voix…

On aimerait écrire, remplir une page de sons. Que là-bas quelqu’un modulerait à l’exacte tessiture de ce désir. Un peu lasse, un peu verte comme une pomme acide, une page de syllabes. Et des creux et des pleins, des calebasses et des tambours. On aimerait tant que remonte l’eau qui coulait, les phrases vivrières, les espèces langagières, tout le fourbi des livres que l’on fut.

On aimerait écrire, ça ne vient pas. C’est une blancheur du corps jusqu’à la langue. On a dû vous arracher un organe de trop, ce petit pois de sels et de verbes dans le creux de la gorge. Ou plus bas, dans votre arbre. Ou plus bas, dans votre sexe tari.

On aimerait, on se souvient. Ce sont des odeurs, des images, une façon autre de la lumière, quand tout le monde nous cachait quelque chose et qu’on ne cessait de chercher et de tenter de dire. Tout était un secret et c’était une raison de questionner et parler sans fin. Maintenant, est-ce parce qu’on sait, qu’il n’y a plus de mystère à inventer?

On aimerait soulever le couvercle qui plombe ou l’esprit ou le cœur. Faire en sorte que l’air passe et résonne, que les bêtes noires et velues des toiles retissent ensemble ces lexiques hachés menus. On aimerait coller ce jeu de notes, ces éructations, cette toux, ce souffle qui court à la jambe de bois. Les amadouer, les réconcilier, rétamer les dégâts.

Parfois, dans un angle de l’amour, on se tient la tête comme l’âne et on murmure, un poème, un début d’aveu, un premier acte. Ça vient, ça suppure. On ferme les yeux. Ce n’est que parce qu’on est là, rencogné dans le mur, que les mots sortent et tombent. On le sait. Dès qu’on tournera la tête, dès qu’on ouvrira son cahier, ils seront secs et ternis. Un silence pris entre des feuilles, achevant de mettre en foin, le peu qu’il vous reste.

Alors parfois, dans un angle de la cour, vous essayez de cracher votre épais silence.

 

Texte et dessin : Anna Jouy

Ce texte est le millième article des Cosaques des Frontières depuis son début en août, 2013.