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Sous la surface des choses se cachent parfois d’autres choses, je vous propose de fermer les yeux, de laisser votre inventivité vous apprendre à voir les choses qui vivent derrière les choses.

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santiago

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Paulo ne sait pas pourquoi il a marché jusqu’ici. Mais il l’a fait et finalement il est très fier de lui.

Il ne se savait pas capable d’un tel exploit. Certes il avait fait le chemin en plusieurs étapes, y avait consacré plusieurs mois, mais il était arrivé au but.

Au début, c’était pour relever un défi pris avec son copain d’enfance.

«Je te parie que tu ne pourras pas le faire jusqu’au bout …»

Et finalement, il s’était pris au jeu. Seul, puisque son copain n’est jamais arrivé au bout. La grande faucheuse en avait décidé autrement.

Il ne se remettait pas de ce deuil. Son copain, son alter-ego, son frère, il était sûr que la vie de ne serait plus jamais la même sans lui. Ils se connaissaient depuis la communale et il ne se souvenait pas d’un seul jour où ils ne s’étaient parlé depuis leur rencontre. Jusqu’au jour de son départ…

Il n’en revenait pas. Tout avait été si vite.

Le début du chemin dans les montagnes d’Auvergne, le dénivelé, le froid. Puis la plaine, puis les Pyrénées. Tant de choses qui expliquaient que la fatigue les écrase. Mais pour lui, il suffisait d’une nuit de sommeil pour s’en remettre. Son copain accumulait les jours d’épuisement, cet essoufflement qui le prenait parfois même en plaine et cette pâleur. Jusqu’au jour du malaise…

Il n’oublierait pas cette petite chambre d’hôpital dans la montagne où tout était blanc, un avant-goût du paradis avait dit son ami, rassemblant ses dernières forces pour plaisanter. Puis le diagnostic qui tombe, sans appel. Trois jours d’incrédulité et de larmes, un adieu dans les limbes du coma et la mort qui lui saute à la gorge. Il ne sait pas comment il a trouvé la force de repartir. Il l’a fait pour lui, a récupéré son sac et a repris le chemin. C’était une idée dérisoire et pourtant indispensable. Finir pour lui en portant son sac comme il l’aurait fait. Un dernier sursaut. Un hommage, un tribut offert à leur amitié plus forte que la mort.

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Il est arrivé au but. Et maintenant qu’il est assis dans cette cathédrale entouré de tous ces pèlerins, il se demande ce qu’il fait là.

Une messe solennelle est donnée où l’on égraine un à un, les noms de ceux qui ont accompli leur chemin. Le nom de son ami et le sien sont déclinés avec les autres, il l’a demandé expressément en faisant tamponner son passeport à chaque étape en même temps que le sien. On lui a accordé cette dérogation exceptionnellement. Son histoire attire la compassion. La bénédiction est donnée à l’assemblée et le « Botafumeiro » monumental balancé au bout de sa corde au-dessus de la tête des pèlerins. L’encens forme une colonne dans le cœur de la nef, bientôt dissipée par l’ouverture des portes et la sortie des fidèles. Peu à peu l’assemblée se disperse, les gens repartent joyeusement en se congratulant. Paulo reste seul dans le silence et le recueillement, épuisé d’émotion.

Une heure s’écoule où il laisse défiler dans sa mémoire les beaux souvenirs de leur enfance commune. Il commence à s’engourdir. Le froid de la nef désertée tombe peu à peu sur ses épaules. Il se sent écrasé par le silence et la hauteur des voûtes. Il lève les yeux vers le chœur à l’instant où un rayon de lumière traverse le vitrail du campanile. Il est subjugué par la beauté de cet instant. Il suit des yeux le rayon de lumière blanche qui se pose sur les pierres de la galerie, leur donnant la couleur de l’été finissant. Il se sent apaisé, comme si rien de fâcheux ne pouvait plus lui arriver. C’est peut-être ça l’état de grâce.

La lumière insiste, devenant éclatante. Il en est presque ébloui et cligne des yeux. Une personne s’avance au bord de la galerie qui lui sourit. C’est un jeune homme souriant qui lui fait un geste de la main. Instinctivement il lui répond en levant la main à son tour, en se demandant pourquoi cet homme lui fait signe. L’autre penche la tête et accentue son sourire.

Une main se pose sur son épaule droite, et quelqu’un lui murmure à l’oreille :

«Tu vois, tu y es arrivé ! »

Il se croyait seul dans la cathédrale et se retourne brusquement mais il n’y a personne.

Un petit rire provient de la galerie. Ce rire, il l’aurait reconnu entre mille !

Paulo lève les yeux vers la galerie, le cœur battant.

Tandis que l’intensité du rayon de lumière décline peu à peu, il n’a que le temps de voir la silhouette de son ami s’effacer doucement, et le regard de son ami qui lui envoie un petit baiser du bout des doigts.

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Texte et photo : Marie-Christine Grimard