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Il y a des météorologies favorables. Sur le fil, leur pâleur raide, leur apparence blanche. Des saisons qui attendent et patientent dans un nappage uniforme, et qui ne s’élèvent guère plus qu’à cette hauteur de ma tête. Et me pénètrent. Des saisons entières qui rêvent et dorment, sans la moindre fatigue, dans des zones gelées. Il est des saisons où le pas crisse et parle, où le sol répond, cracs et ouate. Des saisons de transhumance, de traversées des immenses. Des temps de musique rampante, de vent sans écho. Des périodes de hachures sur l’air, de lames célestes, des mois de ciel épais, qui me réduisent et me feutrent jusqu’au plus serré grain de l’âme. Un poing froid, un piton glacé entre les côtes, température coupant net. Pure et stérile. Une saison intérieure où je songe que j’aurais dû être éclusier ou garde-barrière. Une saison où je me promène à côté du mouvement, comme un oiseau sans migration. Je me déplace au ras de la brume, longeant des limites fluctuantes, et, où que je cherche à partir, jamais je ne franchis la frontière d’un ciel vautré sur le sol. Une saison, dans laquelle aucun geste, aucun son ne se dissipent, confinés comme le chat, sous ma jupe.

De saison encore, voici les gestes que j’aime, des gestes repris sans fin, caresses ponctuant le jour, ou points d’accroche, rampe qui poursuit et appuie le chemin. Des gestes simples souvent, une esquisse presque, un affleurement sur le faire quotidien.

Ces mains autour de la tasse, celles-ci autour du cou pour tenir tête.

Ouvrir la fenêtre, me pencher sur le côté, percevoir la haie démise et l’herbe blanche. Ouvrir aussitôt la bouche. Respirer, soupirer.

Ce bain qui brûle, parce que les gens solitaires se baignent plus que les autres, à la poursuite des émeraudes qui embrassent la peau et l’entourent. -Qui donc me touche à part elles?-

Le rite d’un miroir, celui d’un pédalier. L’autre, d’un livre quelque part que j’épouille de son oubli.

Le crayon qui va, la gomme qui revient.

Le chat encore, que je coiffe de bénédictions et de gratouilles.

Mes habitudes plantées en repère sur le circuit du jour. Virages, chicanes, rétrocessions des vitesses, coups de frein et demi-gaz, je roule vraiment à l’économe.

Et puis ces mots, eux aussi, emplois de ce temps. Ou alors est-ce que ce sont eux qui m’aiment, eux plus que d’autres, des mots qui se sont installés dans le corps hivernal, qui me teintent, qui me restent. Des empreintes ou des cicatrices, des bijoux tatoués. Des plates–bandes inertes, des allées mortes feuilles, des jachères mornes. Est-ce qu’ils disent ce que je suis désormais, en partie, une couleur, une odeur que j’aurais prise?

Je passe le temps, la saison grise ou blanche ou froide. Je passe la monotone sclérose de cette saison, je voyage en léthargie. Immobile presque, comme un alcool secoué et brisé, alcool trimballé et fouetté dans la cale d’un voilier. Et puis soudain en fût percé, en fuites diverses. Une femme de ligne en somme avec des mots taniques, ronceux ou parfois des liqueurs et des muscs.

Et ces mots, qui ne cessent de revenir, pauvres rares comme des denrées d’hiver,  une écume sur les bouillons du fleuve, me racontent :

Lent. Brouillard. Dissipation. Ombres effondrées. Nuit. Nuit. Nuit nuitamment. Amour. Jardin d’écorce et de pierres. Patience et d’attente. Perles. Grains et grains sur la grève en hiver.

Texte et photo : Anna Jouy