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Fomalhaut-1

L’étoile Fomalhaut

Cher ami,

Je veux bien te parler. T’écrire. Mais comme on prendrait le thé en regardant la mer ou la montagne, dans la contemplation des scènes animées lentes de la vie. Te parler, mais du moins de choses, du moins d’importance, du moins à faire. De la nuée au-dessus de l’eau cuite, de la crème secrète du lait, du parfum qui entête, invisible et tenace.

Je désirerais une conversation de brindilles ou de l’équivoque. Une équinoxe de l’idée où je n’aurais pas su faire pencher la balance et où je resterais comme ça, dans le non choix des choses, une sorte de lassitude de la conviction, une forme imposée du refus d’obtempérer. C’est ce qui habite maintenant mes jours mais au fond, je suis le mouvement des saisons, sur le fil étonnamment précis des bascules astrales. Et ce non choix du ciel, cette indécision de la Terre qui ne sait, qui du noir ou du blanc, qui du yin ou du yang, poursuivre, est exactement le sentiment qui m’habite. Je ne veux rien déterminer, je ne veux rien décider. Je ne veux même plus savoir si je vis ou si je meurs, si je rajeunis par les doublures ou si je vieillis en soquettes et baby doll. Si je pouvais être sûre que tu entends comme moi le boucan de mes pensées, je me passerais sans doute de ces lettres; je me tairais et tu entendrais tout.

Ce temps me va; je suis adaptée, de l’espèce mise en forme depuis longtemps et le cerveau qui veille comme une lampe rouge dans une église, le Saint Sacrement des vigies de l’Atone. Je suis là et depuis des jours peut-être, je n’aimerais rien tant qu’accrocher ma barque à un remorqueur et laisser faire. Moins j’agis et plus je vis. Équinoxe et oxymore, tu parles d’une dynamique…!

En général, octobre c’est le début des mortes saisons, l’accord muet des flâneurs de grèves avec la mer. Pourtant, je ne passe pas mes jours dans les mêmes mouvements que ceux de l’obscurité. Et même si désormais le combat est devenu round de nuit, c’est au jour que je m’accroche, m’étonnant d’avoir des matins sombrement vêtus déjà et m’émerveillant de quelques couchers de soleil en traîne de belles lueurs. Plus envie de prendre le parti des choses ni des êtres. Étourderie de la fatigue, absence nécessaire car à vouloir saisir ou m’accrocher, il n’en est résulté que des échardes et des pagailles. Mais à l’ennui que je te disais l’autre jour, j’ai bien senti que tu me prescrivais la cure sainte des vitamines d’avant l’hiver. Alors comment prendras-tu cette nature contemplative que ce début d’automne m »impose? Tu vois comme on peut en dire longtemps, beaucoup, des pages, sur un fragile moment où les mécaniques du corps jouent entre deux balançoires, au ciel du cirque des humains.

Sais-tu qu’aux équinoxes se lève ou se meurt à l’horizon, cette étoile qu’on nomme Fomalhaut, tandis que Sirius occupe les cieux des solstices? Fomalhaut, son œil rouge qui nous fixe. Profond et mystérieux. On aimerait qu’il soit celui du Dieu.

Et lorsque je suivis des cours sur la symbolique ésotérique du Tarot, on ne cessa de revenir sur la présence de Sirius dans le chemin de vie… Cependant, je gardais en tête que ce Monde ultime, carte 21 étrangement du jeu, vers lequel le Mat s’en allait, pèlerin des étapes de l’être, avait étrangement les mêmes formes, configurations et apparences que cette grandiose étoile des équinoxes. Pourquoi les solstices? Pourquoi rien des équinoxes? Peut-être faut il en référer à un monde de piques et de trous, de gloire et de défaite, de lutte sans cesse pour la domination. Tout cela que les solstices manifestent. Tandis que mars ou septembre, ces temps de partage, de médiation, d’équanimité, n’intéressent personne, puisque le monde veut toujours s’élever en rabaissant et rabaisser en élevant….

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Texte : Anna Jouy