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Et puis par moments qui reviennent, (qui vont partir peut-être, probablement, mais qui sait) vous revoilà, au bord de l’origine. Le vide tombe à vos pieds, chute d’un grand fleuve et vous voyez au fond, en bas, se fondre votre existence en une mousse blanche. L’écume d’un bouillon. Vous êtes en dessus et en dedans en même temps. La partie pensante de votre crâne remonte en une buée, une vapeur extrêmement mouillée et que vous aviez décantée en sautant. Par moments, vous vous sentez approcher des dernières failles, vous sentez que ça va vite, que ça vous entraine et que vous vous épuisez lentement à remonter faussement le courant. Vous brassez mais c’est pour mieux reculer, vous agitez fortement vos bras et vos jambes, mais c’est juste pour demeurer dans ce surplace qui vous évite la glissade.
Et puis par moments qui reviennent, (qui vont se diluer, à l’occasion, vraisemblablement, qui sait) vous revoilà dans le sérac du glacier. Partout ce blanc qui n’est que lumière, que scintillement. Cependant, l’aveugle vous attend sous la couche gelée. Vous fixez le point sous zéro de votre brûlure, vous allez à la frise de votre nuit, cornées percées d’éclats. Par moments, vous fixez l’immaculé et dans l’épuisement de cette lumière, vous pensez y voir toujours plus et plus intensément connaitre, mais vous courez à vos deuils de paupières. Vous allez vers les larmes incessantes qui ne sauront vous faire revenir de la crevasse noire où vous êtes prêts à tomber.
Et puis par moments qui reviennent, (qui pouvez-vous ? ils partiront sans vous, ailleurs, sans doute, moindres) vous êtes claudiquant sur des tamis instables. Vous cherchez le point lointain où pitonner votre œil et garder le sextant. Vous songez à la mer, la tempête ; vous songez à l’air sur lequel vous avez dit marcher. Vous songez à ces braises rapides, ces laves rissolant vos chairs; vous songez à l’ivresse, aux maladies délirantes, aux flous naturels des images. Par moments, vous êtes perdus. On a supprimé les repères, on a déboulonné les fous qui vous gardaient. On a bousillé le cadre, empoisonné vos sources. On a bien tout désolidarisé et largué loin les ancres. Vous étiez du naturel stylite des ermites et maintenant, sous vos socles, tremblent la terre, et le sol, et ses séismes. Vous rassemblez vos efforts, votre besace de travaux, vos mots tant qu’à dire. Vous aviez mis le cœur à l’ouvrage et vous regardez le « troupeux » verbiage que vous fîtes. Et vous voudriez soudainement apprendre la musique et la gestion mélodique du silence !
Et puis par moments qui reviennent, (vous le savez d’avance, votre mémoire le garde en elle, c’est du déjà vécu), votre tension, votre peur, la palpation méticuleuse du vide à la recherche d’un fibrome de poésie. Vous avez consulté votre désert, un grain de beauté vous aurait suffi. Vous avez caressé les no man’s land, l’interdit et les portes closes. Il y a des heures d’usage et d’ouverture, et puis d’autres de vacance et de repos. Par moments, les aires sont vides et dans ce monde oublié, dans le dégât paisible de votre cerveau en train de prendre mousses et éponges, vous allez errant, sans savoir, dans le tourbillon dissout de vos matières. Vous allez fréquenter des spectres sans parole et ce ne seront que des fantômes, des pochoirs de sens, la découpe en filigranes des onces du savoir.
Et puis par ces moments qui reviennent, (oui , bien sûr) vous devinez quel sera votre sort tantôt, fait de crevasses et de danses au pied bot. Fait de cabrements, de remises d’équerre, de hula hoops au manège. Vous savez bien sûr, que ce sera ainsi demain, la recherche fatiguée de votre citerne, de votre fleuve, du territoire qui vous fit avancer droite et trop fière. Une quête perdue d’avance.
Par moments, le ciel pourtant sera bleu, comme un chapeau frais.
Texte : Anna Jouy
Photo : ‘Alzheimer’, par J. Kemp
brigetoun a dit:
et puis par moment vous vous sentirez avec terreur démuni face à ce qui monte en vous, encore témoin pour un temps
annaj a dit:
oui-une terreur que vous voudrez garder tant la savoir disparaitre vous montre votre propre chemin
Dominique Hasselmann a dit:
« apprendre la musique et la gestion méthodique du silence » : sortir de cage…
annaj a dit:
joli suivi.. Cage
mchristinegrimard a dit:
Au terme d’un jour où l’errance a habillé la vie de sa terreur froide, retrouver le chemin de la sortie et s’y précipiter avant d’avoir de nouveau perdu la clé. Rester libre de ses choix une dernière fois.
Florence Noël a dit:
« Par moments, vous fixez l’immaculé et dans l’épuisement de cette lumière, vous pensez y voir toujours plus et plus intensément connaitre, mais vous courez à vos deuils de paupières. »
latranchee a dit:
Oui, Anna, j’admets cette difficulté que j’ai à demeurer impartiale lorsque je me trouve devant tes textes… Ils ont tendance à éveiller les sens du profond coma contemporain qui plane sur nos têtes, et certaines de nos plumes, parfois aussi..
Il y a de ces jours où je vois blanc. Dans ces moments, hors du temps, je m’assois tranquillement, respire un bon coup et, un à un, décompose les rayons… Lorsque le ciel s’embrume, je lève les yeux sur le voile qui s’étend à l’horizon comme une armée de cartons-pâtes, alors je me rappelle certains mots, certaines phrases qui traînent ici et là sur la toile. Très souvent, ce sont les tiens
pascale a dit:
Lire, relire … lire, relire… Grand merci.
Pingback: Dans l’adresse, entre les blancs | Créneaux
annaj a dit:
ai essayé de prendre le corps de l’autre un instant car sa pensée, toujours me sera ravie
merci de vos lectures si attentives
Aunryz a dit:
« des fantômes, des pochoirs de sens »
à mâcher ces mots longuement
je me rends compte à quel point cette affection presse le quotidien
de toutes parts.
czottele a dit:
une merveille jusqu’à l’image finale comme une pirouette bleue légère