Glisser sur papier

Il fallait donc que j’écrive, à toi ma luxure riante.

Ma belle, ma vieille jeune, ma jeune vieille, mon effrontée. Ma subite envie que je trompe souvent avec celles qui te connaissent bien et qui ont, avec toi, choisi la même trappe. Mais je reviens toujours pour tes caresses douces et tous tes vils coups, que je touche ton vélin ou que je tape tes nerfs. Nous sommes vieux amants. J’en ai usé de l’encre.

Il faudra donc encore que je vide ma plume, aurai-je tremblements? Ce qu’il faut de désirs et de grands désarrois pour te satisfaire un peu! Mais ne prends pas tout mon jour, tu sais bien qu’il faut même manger. Pour me noyer en toi à nouveau, je dois reprendre forces. Si tu veux tes virgules, tes spasmes et puis tes points, laisse-moi boire de l’air. Je sais que tes soupirs s’inscrivent en majuscules mais, tout de même, aime aussi la petite parenthèse.

Qu’avais-donc à t’écrire? A la ligne, un peu que je me perds, mais sans tourner la page, tout du moins pas encore. Tu m’auras fait bien du souci. Il fallait que je t’habille avant de t’abuser, te mettre joli corsage avant ton apostrophe. (Toujours ça me reprends, j’oublie la narration). Mais c’est ta faute aussi, tu t’exclames, tu évoques, ne me suspends donc pas toujours! Voilà mon fil confus dans l’ordre de mes lettres!

Revenons à ce que mon esprit dicte. On est loin de l’éloge. Tu ne respectes pas, bien souvent, le contrat. Tu avais pris pourtant ta plus belle police, mais, et là, souvent aussi, des caractères gras. Tu ne fais pas la différence entre le vulgaire et le saint, tu tombes tes guillemets à qui voudra t’entendre. Mais je ne t’en veux pas, il faut deux faces pour faire la page. J’embrasse ton verso et je prends ton recto. (Ô, ne me fait pas faire ce que je n’ai pas écrit.) Et puis j’ai tant plaisir à te délier les pleins, à faire du chemin sur tes belles lettrines, à chercher avec toi dans tous les dictionnaires les caresses choisies et, et cependant, parfois, dans une marge, à furieusement pester de rage devant cette main immobile qui ne te fait plus boucles d’amour que tu aurais souhaité. C’est ainsi que nous sommes joints.

J’aime, dans la vitesse, te rendre illisible. Je souille ta blancheur et tu te laisses faire, nos précipitations engendrent des ratures et des calligraphies d’art,  contemporain ou pas. Il n’y a que toi qui comprend quand mon souffle s’affole. Je ris seul mais, je ne peux plus te lire quand le temps a passé alors que je voudrais rassurer le rythme des silences. Oui, tu as raison, il faut que je respire quand je te vêts de noir.

Je viens de me relire et ne suis plus certain de la raison du verbe. Ne sais plus dans quel sens large il me faudrait poursuivre. (Toi, de toute façon, tu ne m’as jamais rien soumis. Tu restes dans ta posture.) Je voulais t’écrire, voilà que je le fais. Tu ne répondras que par un long rectangle blanc où j’imaginerai ton accord ou ton déni. Déjà tu sais le tout de mes rires et douleurs puisque depuis des années lourdes et des années légères mes mots t’animent en crissant sur ta soie.

Te donne baisers d’encre.

Il fallait que je t’écrive, à toi, mon écriture.

Texte et photo : zakane