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Seria 1969

Généralement, il n’est pas encore connu – sauf de quelques femmes – que le Major Syvorotka (alias le vieux Cosaque) est en possession d’aptitudes psy, c’est-à-dire qu’il est à l’aise avec les perceptions extrasensorielles, converse couramment avec d’autres psychés sans sortir de sa maison, mais arrive également à se manifester et s’incarner en dehors de lui-même. Un exemple révélateur : il est le vrai Saint Nicolas.

Il visite chaque année les enfants de quelques pays d’Europe, étant reçu avec un enthousiasme particulier aux Pays-Bas et à Fribourg, Suisse, la ville dont il est le patron parce que là-bas vivent les plus doux enfants. Il arrive sur un cheval ou sur un âne, prononce des discours moralisateurs et fait aussi des cadeaux. Il est accompagné par des hommes appelés Pères Fouettards (aux Pays-Bas: Zwarte Pieten, Pierrots Noirs), des hommes blancs noircis de suie pour avoir fait de nombreux aller-retours par les cheminées afin d’y déposer les cadeaux et, en cas de nécessité, pour séquestrer de vilains enfants, les chenapans. Récemment, les Nations Unies ont fait une gaffe énorme en commençant une enquête officielle pour savoir si le Pierre Noir néerlandais n’est pas une insulte raciale faite aux Africains.

Le 5 et 6 décembre, Saint Nicolas est présent partout dans le monde entier simultanément (sa tâche est allégée par le fait qu’il y a les différences horaires autour du globe). Parfois Saint Nicolas visite les enfants néerlandais et fribourgeois dans les lieux tropicaux où leurs parents ont trouvé du travail.
Dans ses carnets, il écrit:

De toutes mes apparences, je me souviens avec une nostalgie particulière de celles prises aux bords de la mer sudchinoise, Seria, Brunei, Bornéo – et à Lagos, Nigéria, Afrique.

La visite à Seria était importante, car l’année précédente un imposteur amateur avait joué mon rôle. J’ai pu lui pardonner car il était inconventionnel et bienveillant, avec un grand amour des enfants. Pendant sa séance, il avait grimpé sur son trône, hissé son tabar, révélant des jambes poilues et un short minuscule, puis avait sorti de sa poche un paquet de tabac pour rouler une cigarette. À un enfant assis sur ses genoux, après avoir consulté une note de la mère l’exhortant à admonester son fils et à le transférer au père fouettard pour une punition appropriée, il dit: “Je suis omniscient, donc je sais aussi que toi, tu connais beaucoup de mots sales. L’admets-tu ?”

“Oui, Saint Nicolas”.

Le saint homme imposteur lui dit: “Bravo! Apprends m’en quelques uns, je le veux bien”. Les deux en échangèrent ainsi plusieurs avant que Saint Nicolas lui  encouragea de ne les pas oublier . Oui, c’était un vrai ami des enfants comme moi, mais je préfère la tradition et après un an il semblait nécessaire de remettre la situation en ordre. Sur les photos en entête et ci-dessous, on peut voir ma réception en style correct.

Pourtant, j’eus l’occasion de penser à mon prédécesseur avec une touche de sympathie. Dans mon livre saint, moi aussi je trouvai quelques suggestions parentales que je devais convertir à l’improviste immédiatement, les transformant de réprimandes en doux compliments. Je me souviens qu’il y avait de nombreux cas d’énurésie encore à l’âge de plus de cinq ans et qu’on voulait punir.

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Mon arrivée à Lagos fut extraordinaire. Il est regrettable que je n’ai pas de photos de ce moment. Je parcourus les rues chaotiques de cette grande ville africaine dans la Mercedes Benz 300 SL ouverte d’une personne néerlandaise travaillant dans l’immobilier (au volant) avec mes deux Pierrot-Noirs assis sur le coffre de la voiture, pieds sur la banquette-arrière. Ma mitre bien fixée avec une corde.

J’agitais ma main solennellement pour la population, ce qui était reçu avec une grande joie car on pensait que j’étais le Pape. Cependant les Pierrot-Noirs produisirent un grand effroi. Sans le savoir ils prouvaient qu’ils n’ont rien à voir avec de la discrimination raciale. Les gens voyaient bien qu’ils étaient des blancs peints! Mais ils les interpretaient sous la panique comme des fantômes juju… en faisant des mouvements exorcisant de leurs mains, les doigts écartés, en direction de mes associés… Un jeune homme perdit le contrôle de son vélo chargé de bière et tomba dans un drain le long de la route.

On m’a reçu dans la grande brasserie Heineken/Star Beer (slogan : “You’re brighter by far on a Star”). À ma consternation, je trouvai à nouveau quelques notes terrifiantes dans le livre saint que l’on m’avait préparé. Je les ai toutes modifiées vers le positif joyeux qui est ma routine habituelle et les enfants étaient bien contents.
Puis je suis parti en odeur de sainteté, avec le  chauffeur de notre 300 SL.

Je lui fis remarquer : “les grands arbres attrapent beaucoup du vent”, ce qui le mit en état de confusion, ne connaissant pas l’argot de nous les évêques.

Lagos 1973-1

(à suivre)

Texte: Jan Doets
Photos: prises par des parents gentils. Les photos sont toutes bien agrandissables par cliquer dessus