pierre bleue

Saison sèche, saison de verre, cassante, saison de fausse transparence. Tout semble nu, tout est caché sous son opacité, et tout se teinte de poussière; briques les rêves, les pensées, la solitude, l’amour, la parole. Le soleil se brise, s’éparpille en éclats, blesse la terre au front ridé. Le corps aspire aux pluies épicées.

Dans sa poche une pierre bleue, précieuse, en forme d’œil de varan ou de tortue, glissée pour conjurer la durée du présent, la rouille du sang, le vide de soi, fraîche et lisse sous les doigts, une promesse.

Sous les pieds nus, la ligne dure et longue de la piste qui frappe le talon, creuse la plante, renvoie le son mat des pas dans les tempes, ocre trouée parmi les sissongos. Le silence d’un nuage perdu dans le ciel blanc. Saison de sueur lente. La peau qui se craquelle. Une douleur vague au creux des reins, amicale, paisible.

Au détour du chemin surgissent des rochers, fauves d’antan couchés dans les herbages, les paupières fermées, puis des fourrés d’arbustes, tout bruissants d’amarantes. Une veuve ondule dans la lumière.

Saison d’incendie, de brousse calcinée, saison de tiède cendre. Vient jusqu’à lui l’ardeur des feux lointains, leur souffle. En lui un autre embrasement, dans sa chair. Un coup de lance.

Marcher sur les vieilles traces de l’enfance, les brûlis du passé, pister dans la mémoire les parfums oubliés, descendre, vite, fouler le pagne de la terre, à son tour après tant d’années froisser le tissu de la sente. Quand le village apparaîtra, les pas seront caresses.

Saison de sève ensommeillée, captive, prête à jaillir pourtant. Saison de fièvres indolentes. Âge d’une rumeur dans les veines. Presser l’allure, sans perdre rien du vent qui s’est levé. Là-bas, penchée sur les racines, la mère se redresse soudain. L’oiseau annonce sa venue. Saison de songes étoilés quand la nuit ouvre ses entrailles. “Mama, dis-moi, ô toi Sagesse, longtemps, si longtemps j’ai rêvé…”

Saison de langueur à midi sous le bourdonnement des mouches, de douces mélopées dans l’orange touffeur du soir, après l’ahan dur du pilon, l’offrande du mortier au choc cadencé, saison de veilles murmurantes où le corps allongé sur la natte s’abandonne aux litanies: froissements d’ailes, coassements, monotones stridulations: soupir des ténèbres, envol des esprits.

Un braiment d’âne. C’est l’approche. Bientôt la grande termitière, le mausolée de son enfance. Bientôt l’arbre esseulé. Bientôt les cris, poussés du fond des âges, du fond de soi aussi. Bientôt le doux regard.

Texte : Serge Marcel Roche