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HamletAvignon

Les souvenirs remontent. Mais ils sont si loin dans le temps qu’il devient impossible de ne plus les dire. Comme si le texte tournant autour d’un point effacé, se mettait en mouvement et avait besoin, à un moment, de revenir à eux. Là où le texte remonte, dans la mémoire. Là d’où il vient. Nuit d’été.

Là d’où il vient : de la nuit d’été, loin, autrefois, d’une nuit d’été dans le passé, impression : été, la nuit, le vent du soir, le vent soufflant, comme il soufflait, par vagues immenses, comme la respiration du monde. Impression : le vent dans la nuit d’été. Et sur scène, les acteurs traversant l’espace. Et lui. Je m’en souviens. Se relevant, d’une diction parfaite, la voix intacte, portant dans la nuit et le vent et le souffle du vent qui ne parvenait pas à emporter sa voix, qui ne la perdait pas dans l’espace de la cour, immense. La nuit d’été, immense, et lui. Au centre de l’espace qu’il déplaçait autour de lui.

Je me souviens. Images. Incomplètes. Le temps a fait son office. Pourpoint noir. Je me souviens. Pourpoint fleuri. Puis noir. Je me souviens.

“Une fille bien jolie / qu’il aimait à la folie” (à un moment, il faudra repartir, retourner dans son monde, s’en retourner, il faudra, on le sait déjà, mais pas tout de suite). Et lui ? Continuera-t-il d’exister ? Ailleurs que dans notre mémoire de cette nuit d’été partagée. Nous étions si nombreux dans la Cour du Palais des Papes.

Cela finit, à un moment cela finit :

“Oh je meurs, Horatio, la force du poison l’emporte sur ma vie … “.

Peu après, j’ai acheté la traduction de François-Victor Hugo, j’entendais sa voix dans les phrases, elles me rendaient à ses intonations. Tout l’été je l’ai relu mais le processus de l’oubli avait déjà commencé son œuvre.

Alors l’automne venu, un an après, l’automne revenu, l’éloignement commençait à se faire ressentir, et le ressentant, j’ai commencé à écrire ce texte sur lequel passait le fantôme d’Hamlet et le vent de cette nuit d’été dans le Palais des Papes, pendant le Festival d’Avignon. En somme, il y a un ici et un maintenant. Il y a toujours ce vent immense qui traverse la Cour, mais sa voix lui était indifférente, et ne tenait pas compte des pulsations du monde, du vent, elle se déployait dans l’espace du texte, le déployait, immense, et nous faisait entrer en lui.

Il s’ouvrait l’espace d’un rêve, l’espace immense d’un rêve plus fort que tous les réels friables.

Puis nous sommes repartis, dans la nuit, dans l’été. La foule s’est déversée dans les rues de la ville dont je ne me souviens plus. Et je n’ai plus cessé d’y penser. Parfois j’ai cru l’oublier, mais cela revient par vagues, les images reviennent, certainement déformées par les lointains de ma mémoire, la voix ne sonne plus à mon esprit, mais son souvenir continue de le faire. C’est un étrange silence.

Il y a comme un silence autour duquel tourne toutes les phrases. Il est peut-être là. Dans cette voix qui s’est éteinte dans la nuit de l’été. Mais c’était l’hiver.

“Oh je meurs, Horatio, la force du poison l’emporte sur ma vie”.

Mais il était impossible que cela finisse. Ainsi. Il y avait ce vent et cette nuit, et le souffle immense de sa voix.

Texte: Isabelle Pariente-Butterlin