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TO MATCH FEATURE STORY TRANSPORT NIGERIA LIGHTS.

Avril 1972. Lagos. Ma nouvelle affectation. Mon arrivée dans la capitale nigériane est sensationnelle. Je suis expédié par le chaos dans la salle d’arrivée de l’aéroport par un monsieur tout-puissant qui s’appelle Benjamin, puis accompagné par lui vers une Peugeot 404 Break. Dans ce pays, ce ‘cheval de trait’ est très cherché. Monsieur Benjamin me dit que les expatriés qui importent cette voiture, peuvent la vendre à grand profit à un Nigérian le jour d’arrivée. Le chauffeur nous emmène vers la ville, toutes les fenêtres ouvertes. Il y a beaucoup à voir, à entendre et à sentir. En ordre d’impact : la cacophonie assourdissante, les odeurs époustouflantes et les images vivantes.

Des enseignes en toutes les couleurs, partout… Sur les édifices, les camions et les mammy wagons, des camions pour transporter des gens avec bagages et animaux. La passion nationale : doubler au dernier moment. Sur des camions, je vois des enseignes utiles comme: ‘Hornb4Overtaking’ (klaxonner avant dépasser). Un camion plein de toilettes mobiles est orné artistiquement d’un grand panneau: ‘Shit business is serious business’ (prend au sérieux les affaires de la merde). Les enseignes sur les mammy wagons sont philosophiques, pratiques ou religieux, comme: ‘Time shall tell’ (on verra bien),  ‘no condition is permanent’ (aucune condition n’est permanente), ‘No destination, why hurry’(aucune destination, pourquoi se presser?), ‘Safety is of the Lord’ (la sécurité appartient au Seigneur). Un camion de bétail plein de gens conseille : No Standing (défense d’être debout). Des hommes en robes, alignés le long d’une fosse, font pipi, visiblement. Après quelque temps, je suis à bout de souffle par toutes ces impressions.

No Standing

Il faut arrêter souvent, le trafic est chaotique, il y a des bouchons, des bagarres entre les chauffeurs qui sortent de leurs voitures. Le vacarme! Les arrêts offrent des opportunités aux vendeurs de vêtements et chaussures, de cigarettes de contrebande et aux laveurs de pare-brise qui se bousculent autour de la voiture en se querellant pour obtenir le boulot.

Je suis délivré à l’hôtel. Il me semble beau, vu de distance, avec des palmiers et avec un parc le long du quai du port. Mais, la climatisation est caduque depuis quelque temps et, dans ma chambre, les odeurs sont plus lourdes à supporter que la chaleur.

Le jour suivant, un nouveau collègue vient me chercher. Près du bureau, il gare sa voiture sur un grand espace asphalté au bord de l’eau. En descendant de la voiture, nous sommes encerclés par une bande de garçons heureux et riants, tous mutilés d’une façon ou d’une autre. ‘Ils prennent soin de ma voiture, tous ensemble. Ça coûte très peu, je ne paye que Le Chef ’, dit mon compagnon.  Le Chef est un jeune homme sans jambes, c’est à dire il n’a que les cuisses, il se propulse agilement sur une planche avec quatre petites vieilles roues d’acier. Il est évident que mon compagnon s’entend extrêmement bien avec ces amis. Il les connaît tous par leur prénom, il échange des plaisanteries assez crues avec eux que tous ensemble trouvent normales et hilarantes. ‘Surtout ne les traite pas avec compassion,’ il dit, ‘ça n’est pas du tout apprécié.’

Abasourdi, je suis mon collègue expérimenté dans les rues. Le choc culturel continue.

Texte : Jan Doets