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Boîte de réception 21 juillet

Cher ami,

Je me suis mise devant la fenêtre. Surveiller l’air, qui va peut-être bouger et le souffle qui pourrait passer. J’attends, avec une patience de pêcheur, cette espèce d’onde qui agiterait le cerisier et m’agiterait aussi. Je suis toute habillée de cette croyance, la seule peau que je supporte. Et tandis que je tends mon visage au vent, qui va venir, comme un baiser sur le front peut-être, tandis que le soleil monte, que la chaleur étreint le paysage et me brûle, j’essaie d’extirper de la torpeur, mes mots, les petits êtres racornis de mon inspiration. Je suis plus aride que le sol, plus aride que l’air d’acier qui tranche le monde en deux éblouis de mort, le cerisier et moi. Tout ce que je tire se casse à hauteur sèche de tiges, les racines prises dans le mors sec de la terre. L’écriture est lyophilisée. Et rien, que le bruit des syllabes, particules ingrates, conservant dans le déshydraté du gravier, la saveur d’un monde où tout est cuit d’avance. Mon encre, devant la fenêtre, sèche et le drapeau est blanc désormais, flottille avachie sur le mât des os.

Je me suis mise là, pour prendre de face l’énorme fracas qui fera vaciller peut-être les vitres. Le ciel encore est insupportable. Pourtant, il est annoncé trompeur. On a dit que ça viendrait comme un tonneau tombe dans les escaliers, éventre le vin, l’éparpille, éclabousse. Je suis prête à ma gifle, je tends mon visage. L’autre joue aussi. Ma bouche de glue perd ses vocables, filandres salées crochetées de soif. Il est temps de sortir des rêves torpilles où il pleut. Et longtemps, des jours durant, des nuits encore, remontant des prés des odeurs d’urines et ce bruit des jachères qui grillent sous la flotte, qui craquent et se déchirent. Ces fentes qui explosent et crèvent. Quelle que sera cette violence, sa façon énorme qu’elle aura de rompre les digues, je la veux, j’y pense, je m’en inquiète.

Devant ma fenêtre, l’éternité étire des cordes sans avenir. Une blancheur badigeon, une chaux mûre contre mon corps et ma tête. Les champs sont brûlés, mon paysage intérieur au goût de sablière ne sait t’envoyer que les dunes amères du manque. Je n’ai plus de jus. Essorée, tu le sais de doutes, de trop d’ampoules, du regard stérile d’un monde où il faut brûler par tous les bouts.

Je suis devant la glace vitreuse. J’aimerais mettre des fleurs sur le rebord, décorer de points rouges, de petits cœurs moelleux, de couleurs… J’aimerais te montrer l’étendue derrière la douane silencieuse, te faire visiter les botaniques de mes amours ; c’est vrai, j’étais des plantureuses. Mais il manque ici trop d’eau. Depuis bien des aubes, le nuage évite mon boxe de survie, comme si un coup du ciel avait estompé d’un revers de manche l’endroit d’où je t’écris, étanchée des citernes et des averses.

J’attends, comme pourrait parvenir par masses grises, un orage, une grêle, ou une averse bien heureuse, pointant là-bas, à l’aurore, la naissance d’un cotonnier gavé des fruits d’une lointaine mer.

Texte et photo : Anna Jouy