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pour les cosaques - David - Bara

Lorsque je suis entrée dans une des salles donnant sur le jardin, lors de ma première visite à Calvet, je l’ai vu face à moi, l’ai reconnu avec un sentiment de familiarité, pour l’avoir souvent rencontré dans des livres – et l’ai salué, mentalement, d’un «tiens ! tu es là, toi ?».

Et comme il est si charmant, dans son camaïeu beige, légèrement contaminé par sa chair rose pale, celle qui teinte les ombres, qui s’affiche sur ses douces pommettes, les ailes du nez, la bouche entrouverte et ses orteils abandonnés, couché sur la terre pailleuse, dans une guerre que seul un drapeau fantomatique porté par une idée d’homme brune évoque, comme un prétexte, ce jeune Bara, je passe le voir chaque fois.

Et j’admire l’union des tons du sol, de l’air et de ce corps allongé, offert, en travers de la toile, émergeant par le doux modelé des membres, corps esquissé sur la préparation, les grandes virgules d’ocre brun clair du fond qui m’évoquent des nuages emportés, redressé dans un appel interrogatif, joue appuyée sur un rocher qui n’est là que par le trait qui marque sa jonction avec le sol.

Peut-être à la longue s’est il habitué à cette petite vieille, et pourrais-je continuer à l’apostropher.

Ce serait lui dire, comme d’autres qui l’ont certainement pensé et parfois formulé :

oui mon enfant, tu es charmant
tu le sais d’ailleurs, je le crains, n’est ce pas ?
mais mon enfant ne reste pas ainsi,
recroqueville toi un peu dans la mort, laisse son désordre te tordre, ta face retomber sur la poussière avec une petite grimace, après avoir jeté ton dernier souffle, ou mieux, tords la dans un cri de défi
parce que tu ne fais pas très mort en mort brutale,
parce que tu es un peu trop serein, comme n’ont droit à l’être que les vieillards s’éteignant dans leur lit, entourés de leur descendance
un mort serein, avec juste une petite plainte presque inaudible, un appel au sens incertain
parce que tu es un peu trop charmant, sais-tu ?
tu évoques plutôt un des charmants Saint Sébastien, juste un peu plus jeune que la moyenne – mais on peut préférer les pré-adolescents – que l’on aurait délié, et soigneusement déposé sur le sol, ces charmants Saint-Sébastien un peu trop troubles pour être pieux
parce que tu aurais dû insister pour que Jacques-Louis David n’en reste pas au plaisir de l’étude de ton nu
qu’il te vêtisse – oui, bon je sais, ça fait conseil de vieille femme – mais si, te vêtir, comme il l’a fait pour les assistants au serment du Jeu de Paume – tu sais j’ai perdu, irrécupérable après long plongeon dans l’eau, un merveilleux livre édité par les Monuments historiques, qui donnait tous les nus esquissés, en diverses postures, des ces glorieux apprentis révolutionnaires, mais ensuite il y a des études en costumes de ces mêmes corps et des plis que font les tissus qui les couvrent, qui nient souvent les corps
Peut-être a-t-il hésité trop longtemps entre l’uniforme des hussards et les habits d’un jeune tambour, puisque les gravures qui te représentent hésitent entre ces deux solutions.
Comme il ne s’est pas résigné à évoquer ta blessure…
Les conventionnels qui lui avaient commandé ton image, pour l’édification du peuple, auraient-ils admis que tu sois ainsi représenté, victime certainement, mais si peu guerrière et glorieuse – même si tu presses bien sur ton coeur, comme David le disait dans son discours, la cocarde tricolore, en mourant «pour revivre dans les fastes de l’histoire» – lors de la fête prévue le 10 thermidor an II, pour ton admission au Panthéon, si les évènements de la veille ne l’avaient annulée, si David n’avait pas abandonné sa toile, te laissant en cette perfection ?

Et bien entendu, il ne me répondrait pas, ou simplement laisse moi, je me repose, je me fonds dans le sol, sachant bien qu’il est, en cette image, trop intemporellement beau pour cela.

Texte : Brigitte Celerier
Image : La mort de Joseph Bara (1794, par Jacques-Louis David)