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Aedificavit 22

Tel livre effeuillé raconte celui qui partant s’est enfui, pour mieux oublier que les siens ne lui appartiennent plus. Est-il possible qu’il atteigne la seule véritable terre (point de salut ici) en étreignant ses souvenirs, à la recherche de l’ami(e) retrouvé(e), improbables rencontres, des mots sans réponse mais sous des certitudes obscures, comme des lambris d’hôtels vides de leurs meubles, et dans la lumière d’un été sans lendemain, le lendemain de ce jour sans salut : histoire absurde en vérité, mais de quelles certitudes parlons-nous ?

Et lui-même n’était-il pas très certain de retrouver cette femme alors qu’il n’avait rien qu’un appartement vide de ses souvenirs, et derrière lui des déceptions, abandonnées, des décisions, abandonnées. Sur quelle certitude prenons-nous appui pour affirmer que le départ est un soulagement ? Il faudra sans doute tricher. Tricher avec les départs, les exils, les contraindre à ne pas nous observer, à ne pas nous accueillir ainsi.

Tel livre s’ouvre, et se referme, envahit du poison distillé des certitudes simples, puis se retire et nous laisse aux rives inhumaines du réel. Sans cruautés ni gratitudes. Les certitudes s’affermissent-elles de leur départ devenait un carcan, étroit et sans espoir ? Vers quelle erreur avançons-nous sans croire que les certitudes s’affaissent et se cherchent et cherchent quelque crevasse où les instances du temps les viendront nier. L’hiver se chargera des funérailles.

Or qui ici nous laissera rêver, nous incitera à rêver. Il faut croire qu’il n’est personne dont les songes érodent le réel. En débusquent l’inanité. Hâtons-nous, avant d’assister, impuissants, au travail inversé. À n’en pas douter, il nous serait funeste.

Quel avenir se détermine sous cette certitude ? D’autres ont abandonné. Avant nous, d’autres ont abandonné. Ils ont aussi délaissé leurs espoirs, les ont froissés, pour un salut commun, espoirs qu’il fallut bien baptiser du nom de vanité, et saluer d’une incertaine dérision. Convenons de la for ce du monde, convenons de la présence de l’échec, mais tant que nous reconnaîtrons la nécessaire métamorphose, la patiente alchimie, il ne s’agira plus que d’oublier les convenances.

Convenons de la prescience de l’échec et des augures défavorables. Ainsi ne plaiderons-nous aucune naïveté, aucune jeunesse fautive, lorsque s’avance l’heure des silences démultipliés. Pour l’heure, il faut souhaiter oublier.

Le réel tend ses filets où il est trop aisé de se laisser attirer. Les efforts alors se déploient pour étendre les vues, les désirs, pour reformer les jours. Lutte incessante et glissante comme une ruelle pavée de tristes renoncements, de tentatives silencieuses, des perfidies du temps et partout, de toutes parts, la tentation d’abandonner ses espoirs, de les rebaptiser avec cynisme. Oublions que nous n’y échapperons pas. Ces alentours dévisagés ne seront pas autrement. La vision se forge et ne nous même pas donnée de notre désespoir d’être. Oublions.

Que faire ? Car il se peut que l’étau se resserre, nous contraigne au renoncement, jours fastes où des langages barbares jaillissaient, chaque souffle nouveau semblait possible et les possibles se multipliaient : forme d’un nuage hélas si facilement perdue dans les contradictoires. Hamlet le savait et tentait de le dire, et à ceux qui l’entendaient, ses paroles demeuraient muettes, et ils le fixaient, ils le dévisageaient et n’entendaient rien.

 

Texte et photo : Isabelle Pariente-Butterlin